samedi 2 septembre 2017

Ces peintres dont on ne veut plus 2 : Salvator Rosa.

« aut tace aut loquere meliora silentio » (« Tais-toi, à moins que ce tu as à dire vaille mieux que le silence  : devise de Salvator Rosa).

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Je me suis longtemps étonné de la persistance de malentendus véhiculés au sujet de tel artiste peintre. Questionnez le vulgaire au hasard, au sujet de la peinture italienne du XVIIe siècle, mais un conseil, sélectionnez exclusivement le vulgaire soi-disant instruit et se considérant comme cultivé. A la question, l'autre, le non instruit, répondrait par le néant, la vacuité. Il ignorerait tout de l'existence d'une peinture antérieure à l'art moderne, puisque les a-médias audiovisuels généralistes ne parlent de peinture qu'à partir de celle-là, dans 99,9 % des cas lorsqu'ils daignent ouvrir leur temps d'antenne sur ce sujet. Et Arte n'est pas la plus innocente des chaînes, puisqu'elle contribue, par son silence embarrassant, à cette ignorance. 
Reprenons donc. Les connaissances du vulgaire instruit et cultivé, s'il fouille dans sa mémoire, ne sera capable que de nommer deux peintres italiens du XVIIe siècle : un homme et une femme. L'homme, c'est Le Caravage,
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 même s'il est mort dès 1610. Inutile de le présenter. La femme, c'est Artemisia Gentileschi, qui ne me fut révélée qu'au début de ce siècle.
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 En dehors de ces deux noms, rien... Des centaines de peintres italiens du XVIIe siècle oubliés, ignorés, comme s'ils n'avaient jamais existé, qu'ils eussent été des petits-maîtres ou des grands... Ils sont tous désavantagés, au contraire des deux susnommés, qui ont bénéficié ces dernières décennies de romans, de films documentaires ou fictionnels sans omettre bien sûr les expositions et rétrospectives faisant courir les foules. 
Prenons l'exemple d'un grand ignoré : Paolo Finoglio (1590-1645),
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 maître du baroque napolitain, dont je pus admirer en 2010, au Palais des Beaux-Arts de Lille le cycle réalisé autour de Renaud et Armide, et Tancrède et Clorinde, héros de La Jérusalem délivrée du Tasse,
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 best-seller de la fin du XVIe siècle et du XVIIe siècle, dont je possède une traduction. Quand un musée permet à l'Histoire de l'art d'avancer, au lieu de se contenter d'expos bancables autour de stars de la peinture ou de la sculpture, mieux vaut le saluer et le féliciter, sachant toutefois que les a-médias, tenus eux-mêmes par des journalistes incultes dirigés par des patrons incultes, ne s'y intéresseront (presque) pas. 
Mais mon sujet du jour, c'est l'extraordinaire Salvator Rosa, autre grand napolitain (Naples 1615 - Rome 1673), dont plus personne ne parle bien qu'il fût un homme complet, aux multiples talents. Salvator Rosa eut plus d'une corde à son arc : poète satirique, acteur, graveur, musicien et peintre. On croirait qu'il porte tout le poids d'un film biographique fasciste qui a desservi sa mémoire, en un phénomène classique de damnatio memoriae, de reductio ad hitlerum (ad mussolinum serait ici un terme plus approprié) : Une aventure de Salvator Rosa, d'Alessandro Blasetti, avec Gino Cervi sorti chez nous en pleine occupation nazie (1942).
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La vie et le talent de Salvator Rosa valent mieux qu'un film d'obédience fasciste. Il fut un grand baroque, un paysagiste hors pair, à la lisière du fantastique. Mais le paysage au XVIIe siècle n'intéresse personne en France ; en témoigne le fiasco, doublé d'une non couverture médiatique absolue, de l'exposition du Grand Palais consacrée à ce thème en 2011. Il s'agissait du paysage à Rome de 1600 à 1650 : Nature et idéal. Salvator Rosa est donc intégralement ignoré chez nous, du moins par ceux qui pontifient dans la culture officielle.
Les paysages de Rosa sont considérés comme "romantiques" par anticipation. Ils cultivent l'étrangeté, le pittoresque, le goût du plébéien et du bizarre. Voyez, par exemple, cette Marine avec Tour d'environ 1640, exposée au Palazzo Pitti.

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Comme tout peintre du XVIIe siècle (et d'après) se respectant, Salvator Rosa séjourna à Rome à plusieurs reprises (en particulier entre 1638 et 1646). Après un retour napolitain, il se fixa définitivement en la capitale de la chrétienté catholique en 1649 (il devait y mourir le 15 mars 1673).
Le musée Condé de Chantilly possède neuf oeuvres de Salvator Rosa. Le Louvre peut se targuer d'avoir dans ses collections un des paysages les plus délirants de notre napolitain, d'un ténébrisme fantastique exacerbé, surnaturel et génial, mais personne n'en parle ! : j'ai nommé le Paysage avec chasseur, daté d'environ 1670.
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Négliger comme on le fait les paysages surprenants et inquiétants de Salvator Rosa, comme aussi d'ailleurs ceux de Sisley actuellement exposés à l'hôtel Caumont d'Aix-en-Provence, dans l'indifférence parisianiste, c'est retomber dans les vieux travers et démons académiques de la hiérarchisation des genres, où le paysage et la nature morte étaient jugés bien moins nobles que la peinture d'Histoire ou celle abordant les sujets bibliques ou mythologiques. Or, Salvator Rosa excella également dans la représentation, souvent insolite, des épisodes des Ecritures, comme en témoigne par exemple, toujours au Louvre, L'Ombre de Samuel apparaissant à Saül chez la pythonisse d'Endor daté de 1668. Il y a déjà du gothique, du Füssli dans tout cela. Rosa apparaît tel un précurseur baroque désormais incompris. Certains sujets de toiles annoncent même Goya.
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Je songe à la scène de sorcellerie de 1646, conservée à la National Gallery. Cette oeuvre fut exposée en France en 2015 à l'occasion des Bas-fonds du baroque, expo tenue alors au Petit Palais dans une quasi indifférence... seulement médiatique (sous-entendu télévisuelle) puisque, si on se réfère au Figaro, les organisateurs de l'événement (commissaires de l'exposition et autres) ont su capter l'attention d'un public abondant (confère l'article en ligne d'Eric Bietry-Rivierre, paru le 10 mars 2015 sous le titre : Les Bas-fonds du baroque : le Petit Palais victime de son succès). La preuve est faite qu'il existe encore en France un public voulant se cultiver (même si, ici, c'est le thème sulfureux de l'exposition qui l'attira, comme s'il cherchait à s'encanailler à la manière du bourgeois de la fin du XIXe siècle au Chabanais) sans se soumettre aux sirènes, aux diktats de la chébrantude bobo post soixante-huitarde qui a voulu faire table rase des deux précédentes cultures, populaire (par exemple Georgette Lemaire) et bourgeoise (par exemple Corneille) et imposer par le haut l'exclusive pop et post pop née à partir des Beatles. Savez-vous que l'audition de l'album SGT Pepper, dont on célèbre le cinquantenaire, me laisse froid ?
Privés de trop nombreuses années de toute vision réelle des tableaux de notre talentueux Salvator, les visiteurs, mus par l'esprit de revanche de ceux que l'on a trop longtemps sevrés et frustrés, se sont agglutinés dans la petite salle qui présentait la délirante scène de sorcellerie... à la grande frayeur des gardiens désaccoutumés à de telles affluences hors arts moderne et contemporain.
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Comment nos médias médiocres peuvent-ils ignorer à ce point un artiste aussi extraordinaire et prenant ? Avec un tel legs pictural, Salvator Rosa mériterait qu'on le connût et le célébrât autant que Le Caravage, qu'on le montât au pinacle. D'autant plus que son talent fut multiple, je le rappelle. Le satiriste mérite autant qu'on s'y arrête que le peintre. Halte au faux héritage négatif plombé venu d'un film de propagande fasciste ! Pourquoi donc un accident filmique doit-il servir de repoussoir médiatique anti Salvator Rosa ?
Or, toute proportion gardée, Salvator Rosa fut considéré en son temps comme une sorte d'artiste engagé : difficile cependant de faire la part de vérité, de vraisemblance, entre la légende bâtie a posteriori sur sa vie aventureuse, et la réalité historique. Son retour napolitain des années 1646-1649 correspond à des événements importants : l'insurrection du révolutionnaire Masaniello contre les Espagnols qui occupaient Naples. On prétend que Rosa, avec d'autres peintres, appartint à la Compagnia della Morte, qui pourchassait les Espagnols dans les rues. La première république napolitaine fut éphémère. Masaniello, qui se comporta en despote, fut assassiné, et son successeur Gennaro Annese exécuté l'année suivante par la justice du vice-roi des Habsbourg d'Espagne, qui avait repris le pouvoir. A la suite du retournement en faveur de l'Espagne, on répandit la fable d'une fuite de notre peintre aventurier dans les Abruzzes, où il se serait fait brigand...
Les satires de Rosa écrivain furent quant à elles âprement critiquées, notamment La Justice quittant la Terre et La Roue de la Fortune.  Le contenu en était trop érudit, trop savant, pour que l'auteur en fût un simple roturier (il était issu d'une famille d'arpenteurs). Cela nous rappelle les débats stériles autour de la parenté des oeuvres de Shakespeare et Molière dont certains veulent nier le génie. Salvator Rosa reçut même l'accusation de copieur et de plagiaire. Il manqua finir en prison. Il s'était même attaqué à Rome elle-même dans une autre satire - transparente - appelée Babylone.
Peintre singulier, sinistre, ténébriste, au style opposé à ceux de Poussin ou de Claude Gelée dit "le Lorrain",  Salvator Rosa mourut d'hydropisie à Rome, le 15 mars 1673. Son art séduisit après sa mort, enthousiasmant les romantiques qui aimaient à confronter le sublime et le grotesque. Quittons-le sur cet autoportrait de 1645, extraordinaire et inquiétant, presque méphistophélique, conservé au musée des beaux-arts de Strasbourg. 

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Prochainement : du nouveau dans l'affaire Nicolas Le Floch ? Ou les promesses vagues d'une diffusion télé toujours retardée de la 6e saison de la série policière en costumes XVIIIe siècle. 

mardi 22 août 2017

Jeanne et les deux Prokofiev.

Une société dont les gouvernements, la presse, les élites ne répandent que le scepticisme, la ruse et la soumission est une société qui se meurt et ne moralise que pour cacher sa pourriture. (Emmanuel Mounier : Le Personnalisme)

Il n'est pas de bon ton qu'une personnalité, jugée à tort ou à raison comme secondaire, meure à l'ombre d'une autre classée comme plus considérable ou plus célèbre. La violoniste Ginette Neveu
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 en fit une des premières l'amère expérience post-mortem, car elle disparut dans la même catastrophe aérienne que le boxeur Marcel Cerdan, le 28 octobre 1949, au-dessus des Açores. En 2014, le romancier Adrien Bosc, dans Constellation, s'est attelé à nous conter l'ensemble des destinées interrompues des quarante-huit victimes de ce vol.
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Mais c'est Sergueï Prokofiev,
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 l'illustre compositeur soviétique, qui, selon moi, est à l'origine de ce fâcheux phénomène de presque escamotage de celles et ceux mourant presque en même temps que quelqu'un d'autre, puisque son décès coïncida peu ou prou avec celui de Staline, en mars 1953, et qu'il passa presque inaperçu. Vous m'objecterez qu'en octobre 1963, les morts officiellement conjointes d'Edith Piaf et de Jean Cocteau ne connurent pas ce problème. Or, il est des décès plus récents, par "couples", dont un des protagonistes devint victime d'une quasi occultation médiatique : 

- Jean Roba, créateur de Boule et Bill, parti le 14 juin 2006, un jour avant l'humoriste Raymond Devos ;
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- Farrah Fawcett, actrice rendue célèbre par la série Drôles de Dames, passée de vie à trépas le 25 juin 2009, soit le même jour que Michael Jackson ;
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- Joan Fontaine, que je ne présente plus, morte le 15 décembre 2013, soit un jour après Peter O'Toole.
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L'on sait que dans cet exemple, la presque intégralité des chaînes de télévision la négligèrent, à une ou deux exceptions près. Joan Fontaine est à l'origine d'un concept que j'ai forgé : la dénécrologie. 

Faut-il l'écrire ? En nous quittant, Jeanne Moreau,
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 dont je ne contesterai jamais l'importance et la grandeur artistique, "réussit" un exploit encore plus grand que les exemples précédemment cités : elle eut droit à deux Prokofiev au lieu d'un ! Un Prokofiev majeur, un peu couvert par les médias (Sam Shepard)
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 et un Prokofiev mineur, presque intégralement passé sous silence, en particulier par Le Monde, qui exècre comme l'on sait les comédiens ayant fait une bonne carrière à la télévision (Jean-Claude Bouillon).
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 Or, si Bouillon est bien mort le même jour que Jeanne Moreau, soit le 31 juillet 2017, Sam Shepard nous avait quitté depuis le 27 juillet. C'est donc une espèce d'effet d'optique temporel déformant, dû au décalage chronologique des annonces nécrologiques, qui a engendré le phénomène des deux Prokofiev !
La nécrologie retardée de Sam Shepard a gommé le différentiel de temporalité. Il est rare que trois morts célèbres coïncident même si l'on enregistre une différence flagrante de traitement entre elles.
Primo, l'importance de Sam Shepard semble avoir été reconnue après coup, à posteriori par les a-médias. Il est difficile  pour celles et ceux vivant en permanence dans le présentisme immédiat de se replonger dans la carrière protéiforme d'un homme talentueux déjà daté, ancien, selon leur point de vue relatif. Il fut dramaturge, scénariste, producteur, réalisateur et metteur en scène...Son oeuvre théâtrale manque hélas de notoriété chez nous. Car la mémoire vivante de Sam Shepard était bien moins entretenue en France que celle de Jeanne Moreau, icône cinéphilique qui bénéficia d'une permanence culturelle (comptez le nombre de multidiffusions de Jules et Jim sur Arte !) et artistique jamais interrompue depuis plus de soixante ans, du moins en apparence : nous avons retenu, privilégié, ses hauts de carrière, au contraire de ses bas. Elle fut parfois la seule caution géniale d'un film, injustement oublié avec son auteur. Je pense en particulier au singulier et poétique Je m'appelle Victor (1993), de Guy Jacques (1958-2016),
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 réalisateur qui produisit peu (surtout des courts métrages), et fut promptement enseveli hors du champ de l'histoire du cinéma. A sa mort, (comme à celle d'Alan Bridges), Le Monde ne lui consacra aucune ligne...  La musique du film, signée Jean-Claude Vannier, était à la fois nostalgique et envoûtante. Je m'appelle Victor, malgré ses qualités, sa critique positive et sa distribution (Jeanne Moreau y côtoyait Micheline Presle et Dominique Pinon) n'eut pas de succès, à cause d'une distribution chiche en plein mois d'août 1993. Guy Jacques ne tourna ensuite que deux longs métrages, passés inaperçus.
Secundo, Jean-Claude Bouillon fut d'office classé comme Prokofiev mineur car catalogué parmi les représentants d'une télé populaire n'exemptant pas la qualité pourtant exécrée des intellectuels chébrans. Rien sur lui dans Le Monde, nécrologie de Télérama uniquement en ligne, presque omnipotence de la presse magazine TV et de la presse régionale dans le traitement papier correct de sa disparition... Tout témoigne bien d'un rejet culturel habituel des élites, considérant entre autres Les Brigades du Tigre comme représentatives de la culture antérieure, non branchée, du beauf électeur de Marine et Cie... C'est oublier que Jean-Claude Bouillon fut aussi comédien de théâtre. Toute la distribution des Brigades du Tigre passe à l'as au fur et à mesure de la disparition de ses interprètes récurrents. Souvenez-vous du sort peu enviable de François Maistre à sa mort.
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Prochainement  : reprise de la série consacrée aux peintres dont plus personne ne veut : Salvator Rosa, peintre baroque italien fort négligé de nos jours...
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vendredi 11 août 2017

L'Histoire antérieure à France Télévisions : Stéphane Bern seul ?

Ut queant laxis
resonare fibris
Mira gestorum
famuli tuorum,
Solve polluti
labii reatum,
Sancte Iohannes.
(Paul Diacre, historien lombard contemporain de Charlemagne : Hymne de saint Jean Baptiste).

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Je reviens sur un sujet abordé l'an passé, lors de la disparition d'Alain Decaux
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 : il s'agissait alors de fustiger ce que je nommais la haine du costume antérieur (sous-entendu au XXe siècle) dans les fictions tournées depuis environ cinq ans par France Télévisions. L'initiateur de ce rejet, pour ne pas écrire de cette suppression de toute fiction télévisée française se déroulant antérieurement au XXe siècle, Monsieur Rémy Pflimlin, n'est plus de ce monde.  Il nous a quittés le 3 décembre 2016, mais ses épigones exercent encore leurs méfaits sur le service public. Désormais, les non-fictions historiques sont dans le collimateur (comme Truman Capote avait parlé de non-fiction novels). Il est révélateur qu'un des derniers actes de feu Monsieur Pflimlin fut l'éviction de Franck Ferrand,
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 qui animait depuis 2011 L'Ombre d'un doute. A l'heure actuelle, un procès d'intention non-dit est instruit contre l'ultime représentant de cette "Histoire antérieure" sur le service public, Monsieur Stéphane Bern, pour histrionisme, incompétence historique, orientation révisionniste pro récit national voire pour le fait qu'il soit un mâle de plus de cinquante ans, ce qui n'est point jeuniste... les mauvais esprits le mettent dans le même sac que des anti-historiens avérés, véritablement affiliés, quant à eux, à l'immonde fachosphère... De fait, Stéphane Bern me semble plus proche d'un Gonzague Saint-Bris,
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 récemment disparu dans de tragiques circonstances, écrivain que je n'ai pas lu, mais qui a reçu tous les éloges nécrologiques nécessaires, que d'un quelconque manieur et bateleur de l'immonde. 
Il est désormais le seul à officier, et, sans lui, il n'y aura plus personne. L'héritage d'Alain Decaux se sera alors définitivement tu. On peut reprocher à Monsieur Bern la forme de ses émissions de Secrets d'Histoire, magazine créé en 2007 sur France 2. Il mêle l'anecdotique et l'important, les reconstitutions costumées muettes sommaires et les extraits de fictions plus anciennes, la profondeur et la surface, le patrimoine et le kitch... 
Monsieur Bern ne restreint pas son discours à la seule France : il lui arrive d'aborder l'histoire européenne voire méditerranéenne lorsqu'il traite de l'Egypte ancienne, de l'Empire ottoman ou du Maroc du XVIIe siècle. Il sait donc faire preuve d'un certain esprit d'ouverture, contrairement à ce qu'assènent inlassablement ses détracteurs.
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 Ce qu'il fait n'est pas pire que le magazine Historia, revue de vulgarisation grand public éloignée des canons de l'Histoire universitaire.
Au fond, Stéphane Bern est un bon vulgarisateur s'adressant à un public ayant soif de culture, sans trop approfondir toutefois. ll sait remplir son contrat, sa mission, en bon professionnel. Quel que contestable que puisse être jugé le contenu de ses émissions, il ne sombre pas dans la propagande outrée. Sa décontraction, son enthousiasme, peuvent horripiler ses contempteurs, mais on ne lui demande pas de faire du pointu : après tout, il n'est ni Georges Duby (Le Temps des Cathédrales),
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 ni Fernand Braudel (Méditerranée).
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 Marc Ferro,
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 avec Histoire parallèle (1989-2001) sur Arte, aura peut-être été l'un des ultimes historiens universitaires à officier sur le petit écran. La vérité est que notre télévision décadente n'est plus capable de faire appel à ces universitaires réputés, connus et appréciés du monde entier, comme s'il n'y en avait plus... car l'école historique française, les sciences humaines françaises, qui eurent pignon sur rue dans les années 1960-1980, souffrent depuis quelques temps d'une relative désaffection internationale. Ce que monsieur Bern présente n'est que le reflet d'un état culturel préoccupant dont il n'est pas directement responsable. Pourquoi,  par exemple, aucune émission exigeante sur Baudelaire, mort il y a 150 ans, n'a été envisagée par Arte ? Baudelaire est à la portée d'Arte, à moins que la nouvelle thèse prédominant à son sujet, le désignant avant tout comme un anti moderne, joue en sa défaveur dans un milieu politiquement orienté à gauche, qui autrefois, l'adulait en compagnie d'autres écrivains et poètes maudits comme Lautréamont, Rimbaud et Verlaine, tandis que Leconte de Lisle et Sully Prudhomme, les parnassiens, étaient cantonnés à la droite. C'est le Baudelaire réac qui semble prévaloir en 2017, ce qui le bannit de facto des écrans... bobos chébrans iréniques. Si l'on suit les tendances actuelles, l'Histoire se fait plus que jamais polémique, idéologique, tranchée, divisée en deux camps irréconciliables qui ne se parlent pas. Le parcours d'un Max Gallo, lui aussi décédé depuis peu, passé de la gauche jacobine et marxiste au nationalisme conservateur, en témoigne.
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 Sait-on qu'a existé un récit national de gauche, voire marxiste ? Se souvient-on qu'entre 1976 et 1978, L'Histoire de France en bandes dessinées des éditions Larousse avait parmi ses scénaristes (mais aussi ses dessinateurs), des piliers de Vaillant et Pif, communistes, tels Roger Lecureux et Jean Ollivier ?
Contentons-nous donc de Stéphane Bern, qui assure somme toute honorablement un travail non dépourvu d'imperfections, dans l'attente du jour hypothétique où la télévision renouera enfin avec une vraie ambition historienne...

Prochainement : Jeanne et les deux Prokofiev.

mardi 11 juillet 2017

Dapper et d'autres : les musées parisiens meurent aussi.

C'était en 1991. Pour la première fois de ma vie, je me rendis au musée Dapper, afin de visiter l'exposition consacrée à l'art Byeri Fang. Cette visite avait deux objectifs : l'émerveillement esthétique et la pédagogie, entrant dans le cadre de mes recherches doctorales sur l'imagerie de l'Afrique noire, qu'on dit désormais plus volontiers sub-saharienne. 

En ce temps-là, l'entrée du musée Dapper se situait avenue Victor-Hugo, dans le XVIe arrondissement, en un hôtel particulier construit par Charles Plumet (1861-1928) en 1901.

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Le musée Dapper ne tarda pas à faire pleinement partie de mes référents culturels incontournables, au même titre que le musée de l'Homme, lui-même longtemps menacé de disparition pure et simple. Rénové en 2001, désormais accessible par la rue Paul-Valéry pour un espace d'exposition plus vaste, je continuai de m'y rendre lorsque je le pouvais. Dapper s'était ouvert à l'art moderne d'Afrique et des Caraïbes, tout en continuant d'assurer une présence des "arts premiers", malgré la concrétisation du projet du Quai Branly.  
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Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin et j'appris, stupéfait, que le musée Dapper mettait la clef sous la porte à compter du dimanche 18 juin 2017 au soir ! 
Cette tragédie culturelle s'inscrit dans une longue suite de fermetures dangereuses et déplorables, touchant autant des musées privés, modestes ou pas, que publics : musée de l'assistance publique et des hôpitaux de Paris, musée Dupuytren, pinacothèque et bientôt, en septembre, musée de la poupée. 

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Les Cassandre auront beau jeu de rappeler les conséquences des attentats de 2015 et la baisse conséquente de fréquentation des lieux culturels, quelle que soit leur envergure. Ce n'est là qu'un prétexte : les baux ont tellement flambé que les fondations, associations et autres, lorsqu'elles ne sont pas strictement axées sur l'art contemporain surmédiatisé par une chaîne de télévision que je ne nommerai pas alors qu'elle néglige presque l'intégralité de l'offre muséale classique, sclérosée qu'elle est dans une vision remontant aux études sociologiques rageuses d'un Pierre Bourdieu d'il y a un demi-siècle sur les "héritiers" culturels bourgeois, ne peuvent plus survivre. Le musée Dapper ne bénéficiait d'aucune subvention publique et Arte, la bien mal nommée, qui autrefois soutenait les arts premiers et désormais les ignore, s'en est pas mal fichue de la fermeture symbolique et catastrophique de ce lieu civilisationnel emblématique de la croisée des cultures, n'a pas consacré une seule attoseconde au drame...
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Un musée lyonnais est en cours espérons-le de sauvetage : le musée des tissus et des arts décoratifs de Lyon. Là encore, mépris institutionnel généralisé oblige (mépris audiovisuel aussi), c'est par Internet que j'ai pu suivre l'intégralité du déroulement de l'affaire.
Rien ne m'étonne de la part des pouvoirs publics, défenseurs de la disneylandisation à outrance des lieux culturels, d'une vision uniquement festive de la capitale... Je les considère pour partie responsables des désaffections méprisantes dont souffrirent, par exemple, le musée de l'Homme (il manqua en mourir), le musée des ATP (il en mourut, puisque suspecté par eux de néo pétainisme, en négation des travaux de Robert Muchembled, Michel Vovelle, Régis Bertrand, Bernard Cousin et autres historiens des mentalités et cultures populaires antérieures à la déferlante de masse critiquée par Theodor Adorno). De même Cluny, Guimet, ou l'ancien conservatoire des arts et métiers, rebaptisé musée des arts et métiers dont plus personne ne parle en dehors de la presse papier ou en ligne. Comptez par exemple le nombre de reportages qu'Arte a consacré au Louvre cette dernière décennie : ils tiennent dans les doigts d'une main. Cette chaîne se fossilise dans une ligne éditoriale faussée, guidée par une vision réductrice et simplifiée des recherches de Bourdieu. Le musée "classique" y fait presque figure d'"homme à abattre".  Le silence vaut mépris, jamais je ne le répèterai assez. L'évolution d'Arte de ces dix dernières années me déçoit profondément, tant elle a cédé aux sirènes de la branchitude bobo. Sous prétexte de rajeunir son audience, elle n'a effectué qu'un glissement géographique et pseudo-sémantique de son public, du visiteur bourgeois traditionnel de 60 ans plus ou moins érudit de l'ouest parisien au bourgeois-bohème baby-boomer du sud-est ayant positivé mai-68. Le peuple est le perdant de l'affaire, le dindon de la farce.
Je suis un homme de musées et je le revendique ; je les pense irremplaçables, autant comme lieux de mémoire que d'enrichissement spirituel et même éthique.  Ils contribuent à la prise de conscience de la pluralité culturelle de la planète, mais aussi de sa fragilité (rôle contemporain des muséums d'histoire naturelle). Ils permettent des dépaysements sans pareils, dépourvus de la prise de risque de se déplacer dans des pays peu sûrs. 

Prochainement : l'Histoire antérieure à France Télévisions : Stéphane Bern seul ? 

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dimanche 2 juillet 2017

"Le Chemin du Diable" de Jean-Pierre Ohl : un roman oublié par la critique officielle.

C'était en l'an 2008. Conquis par l'excellente critique que Le Monde des Livres venait de consacrer au dernier roman de Jean-Pierre Ohl Les Maîtres de Glenmarkie, je m'empressai de l'acquérir auprès de mon libraire de proximité. 2008... Le Monde des Livres possédait encore à cette date des lambeaux de sa splendeur passée. Permettez-moi ainsi de paraphraser Jean Topart en Sir Williams dans le jouissif feuilleton mythique des années 1960 Rocambole, réalisé par Jean-Pierre Decourt. Sir Williams prononçait cette phrase à l'occasion de retrouvailles avec son ancienne âme damnée Monsieur de Beaupréau (interprétation tout aussi géniale et inoubliable de René Clermont). 
J'appris à l'occasion que Jean-Pierre Ohl exerçait le métier de libraire dans la région bordelaise (qui me vit naître). Les Maîtres de Glenmarkie, hommage au Maître de Ballantrea  de Robert-Louis Stevenson, suivait de quelques années Monsieur Dick ou le dixième livre, enthousiasmante quête autour de l'ultime roman inachevé de Dickens, Le Mystère d'Edwin Drood dont plusieurs dénouements ont été proposés au fil des années.
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Jean-Pierre Ohl, pensais-je, appartenait à ce groupe d'auteurs prestigieux et imaginatifs ayant l'honneur d'être publiés dans la collection blanche de Gallimard. Nous étions avant l'affaire Opéra anatomique  de Maja Brick (2012), ouvrage totalement occulté - à l'exception de la radio, événement symptomatique de l'accélération de la décadence et de l'exclusion systématique bourdieusienne touchant la culture "antérieure".
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Ainsi, en 2017, presque seul François Angelier, spécialiste de la littérature fantastique, remarqua et critiqua (élogieusement) le dernier opus à ce jour de Monsieur Ohl  Le Chemin du Diable dans son émission radio Les Emois, sur France Culture... L'Histoire bégaierait-elle ?
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Vous pourrez effectuer de longues et vaines recherches dans Le Figaro littéraire, Le Monde des Livres, Télérama, Lire et Le Magazine littéraire : ces cinq représentants "incontournables" et "institués" de la critique littéraire française ont, semble-t-il, boudé le formidable roman historico-gothique et policier de Jean-Pierre Ohl. Lorsque j'achetai ledit livre en avril dernier, à la FNAC de Marseille où j'étais en villégiature, quelque chose m'alarma d'emblée : le bouquin ne se trouvait nullement au rayon nouveautés mais déjà sur les étagères ! Y aurait-il eu sabotage délibéré du Chemin du Diable ?
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Par contre, Libération, qu'on n'attend pas toujours dans ce genre de registre culturel, a recelé une fois de plus, après des articles remarqués sur l'expo de Lens consacrée aux frères Le Nain, ou, plus anciennement, sur celle que le musée d'Orsay consacra en 2013 à la sculptrice légitimiste Félicie de Fauveau, une bonne surprise en publiant, disponible en ligne, un article de Jean-Didier Wagneur, daté du 21 avril dernier, consacré aux deux frères Ohl et au Chemin du Diable : Michel et Jen-Pierre Ohl, frères d'encre. Soit les autres organes de presse précités souffrent de cécité intellectuelle, soit leur silence vaut mépris implicite. Une fois de plus, il est scandaleux de constater qu'au moins un quart des romans pourtant édités dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard passent sous l'éteignoir absurde de l'ignorance délibérée. Cette "flemme" culturelle est cependant facile à corriger, à amender : Libé nous le prouve bien et point n'est besoin d'être un organe de presse, de papier ou en ligne appartenant à la mouvance droitière ou facho pour s'intéresser à des objets littéraires ou artistiques singuliers se réclamant du passé antérieur et non du présentisme immédiat. Arte, qui proclame haut et fort dans un récent article du Monde paru en début de semaine dernière à propos de sa politique documentaire son refus de se référer à  tout récit national commet une lourde erreur : c'est abandonner ce même récit à la seule parole, au seul discours, au seul verbe, à la seule réécriture de l'extrême droite alors qu'un récit national de gauche a existé, révolutionnaire, jacobin, communard, ou tout simplement républicain avec Michelet et Dumas, sans omettre le CNR qui lutta contre la pétainisation de l'Histoire et, plus près de nous, des historiens prestigieux comme Henri Guillemin et Michel Vovelle, grand spécialiste de la Révolution française et des mentalités. Les niches écologiques laissées vacantes finissent toujours par être occupées, parfois par les nuisibles... C'est au contraire en se réappropriant ce même récit national au lieu de l'abandonner lâchement au péril brun, en en fournissant une relecture démocratique, républicaine, égalitaire, que l'on pourra gagner la bataille des idées. L'une des erreurs les plus graves commises par le précédent président de la République demeurera à mon sens la non panthéonisation de Diderot, personnage emblématique des Lumières. Or, l'on sait ce que la réaction (Burke, De Maistre, Bonald) pensait de la philosophie des Lumières et de la Révolution... Fermons cette parenthèse nécessaire et revenons au Chemin du Diable.
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Cet ouvrage détonnant, dont l'action se situe en 1824, met en scène, à côté de légions de personnages imaginaires et truculents, un Charles Dickens adolescent et George Stephenson, un des pères de la locomotive. Je vous invite à écouter sur le site de France Culture le document audio de quatre minutes de François Angelier, de l'émission Les Emois  du 11 avril 2017 :
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"Le Chemin du diable" ou l'Albion tragique et gothique de Jean-Pierre Ohl.

 En un roman dicksensien, Jean-Pierre Ohl dépeint subtilement, sur fond de sortilèges gothiques, le passage de l'Angleterre à l'ère industrielle. 

 Jean-Pierre Ohl marche à Dickens comme les rois mages à l'étoile, confiant et ébloui. Ayant déjà consacré au romancier anglais un fantaisie énigmatique et érudite (Monsieur Dick ou le dixième livre, La Table ronde), ainsi qu'une biographie dans la collection Folio, il pique des deux avec Le Chemin du diable et se lance sur l'obstacle comme un landlord traquant le renard. Avec ce nouveau roman foisonnant et inquiétant, évoquant également les sortilèges théâtraux du roman gothique et les visions millénaristes des sectes anglaises, il nous expose les profondes mutations sociales et technologiques qui sonnèrent l'heure sombre de la Révolution industrielle anglaise : travail des enfants, labeur épuisant de la mine, enrichissement de la bourgeoisie d'affaires. A la fois roman historique et hommage littéraire, une grande réussite. (éditions Gallimard)


Tel est le résumé critique de François Angelier que France Culture met à notre disposition. Il a adoré ce bouquin nous changeant du nombril ordinaire de nos Paul(e) Bourge(tte) actuel(le)s. L'autre scandale autour de Jean-Pierre Ohl consiste en la non parution chez Folio de ses romans Gallimard sous format de poche, au point que notre écrivain virtuose et séduisant a dû recycler dans la collection "la petite vermillon" de la Table Ronde son fameux Monsieur Dick ou le dixième Livre. Mais il me semble bien avoir évoqué ce problème dans un billet passé... Bref, je vous encourage toutes et tous, lectrices et lecteurs, à goûter à la prose détonante et enrichissante de Jean-Pierre Ohl. Nul ne le regrettera !

Prochainement
: Dapper et d'autres : les musées parisiens meurent aussi.

 
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