C'était en 1991. Pour la première fois de ma vie, je me rendis au musée Dapper, afin de visiter l'exposition consacrée à l'art Byeri Fang. Cette visite avait deux objectifs : l'émerveillement esthétique et la pédagogie, entrant dans le cadre de mes recherches doctorales sur l'imagerie de l'Afrique noire, qu'on dit désormais plus volontiers sub-saharienne.
En ce temps-là, l'entrée du musée Dapper se situait avenue Victor-Hugo, dans le XVIe arrondissement, en un hôtel particulier construit par Charles Plumet (1861-1928) en 1901.
Le musée Dapper ne tarda pas à faire pleinement partie de mes référents culturels incontournables, au même titre que le musée de l'Homme, lui-même longtemps menacé de disparition pure et simple. Rénové en 2001, désormais accessible par la rue Paul-Valéry pour un espace d'exposition plus vaste, je continuai de m'y rendre lorsque je le pouvais. Dapper s'était ouvert à l'art moderne d'Afrique et des Caraïbes, tout en continuant d'assurer une présence des "arts premiers", malgré la concrétisation du projet du Quai Branly.
Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin et j'appris, stupéfait, que le musée Dapper mettait la clef sous la porte à compter du dimanche 18 juin 2017 au soir !
Cette tragédie culturelle s'inscrit dans une longue suite de fermetures dangereuses et déplorables, touchant autant des musées privés, modestes ou pas, que publics : musée de l'assistance publique et des hôpitaux de Paris, musée Dupuytren, pinacothèque et bientôt, en septembre, musée de la poupée.
Les Cassandre auront beau jeu de rappeler les conséquences des attentats de 2015 et la baisse conséquente de fréquentation des lieux culturels, quelle que soit leur envergure. Ce n'est là qu'un prétexte : les baux ont tellement flambé que les fondations, associations et autres, lorsqu'elles ne sont pas strictement axées sur l'art contemporain surmédiatisé par une chaîne de télévision que je ne nommerai pas alors qu'elle néglige presque l'intégralité de l'offre muséale classique, sclérosée qu'elle est dans une vision remontant aux études sociologiques rageuses d'un Pierre Bourdieu d'il y a un demi-siècle sur les "héritiers" culturels bourgeois, ne peuvent plus survivre. Le musée Dapper ne bénéficiait d'aucune subvention publique et Arte, la bien mal nommée, qui autrefois soutenait les arts premiers et désormais les ignore, s'en est pas mal fichue de la fermeture symbolique et catastrophique de ce lieu civilisationnel emblématique de la croisée des cultures, n'a pas consacré une seule attoseconde au drame...
Un musée lyonnais est en cours espérons-le de sauvetage : le musée des tissus et des arts décoratifs de Lyon. Là encore, mépris institutionnel généralisé oblige (mépris audiovisuel aussi), c'est par Internet que j'ai pu suivre l'intégralité du déroulement de l'affaire.
Rien ne m'étonne de la part des pouvoirs publics, défenseurs de la disneylandisation à outrance des lieux culturels, d'une vision uniquement festive de la capitale... Je les considère pour partie responsables des désaffections méprisantes dont souffrirent, par exemple, le musée de l'Homme (il manqua en mourir), le musée des ATP (il en mourut, puisque suspecté par eux de néo pétainisme, en négation des travaux de Robert Muchembled, Michel Vovelle, Régis Bertrand, Bernard Cousin et autres historiens des mentalités et cultures populaires antérieures à la déferlante de masse critiquée par Theodor Adorno). De même Cluny, Guimet, ou l'ancien conservatoire des arts et métiers, rebaptisé musée des arts et métiers dont plus personne ne parle en dehors de la presse papier ou en ligne. Comptez par exemple le nombre de reportages qu'Arte a consacré au Louvre cette dernière décennie : ils tiennent dans les doigts d'une main. Cette chaîne se fossilise dans une ligne éditoriale faussée, guidée par une vision réductrice et simplifiée des recherches de Bourdieu. Le musée "classique" y fait presque figure d'"homme à abattre". Le silence vaut mépris, jamais je ne le répèterai assez. L'évolution d'Arte de ces dix dernières années me déçoit profondément, tant elle a cédé aux sirènes de la branchitude bobo. Sous prétexte de rajeunir son audience, elle n'a effectué qu'un glissement géographique et pseudo-sémantique de son public, du visiteur bourgeois traditionnel de 60 ans plus ou moins érudit de l'ouest parisien au bourgeois-bohème baby-boomer du sud-est ayant positivé mai-68. Le peuple est le perdant de l'affaire, le dindon de la farce.
Je suis un homme de musées et je le revendique ; je les pense irremplaçables, autant comme lieux de mémoire que d'enrichissement spirituel et même éthique. Ils contribuent à la prise de conscience de la pluralité culturelle de la planète, mais aussi de sa fragilité (rôle contemporain des muséums d'histoire naturelle). Ils permettent des dépaysements sans pareils, dépourvus de la prise de risque de se déplacer dans des pays peu sûrs.
Prochainement : l'Histoire antérieure à France Télévisions : Stéphane Bern seul ?
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