dimanche 8 septembre 2024

Ces écrivains dont la France ne veut plus 46 : Madame d'Aulnoy.

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O tempora ! O mores ! (Cicéron, première Catilinaire).

Les amatrices et amateurs de contes de fées ont la fâcheuse tendance de mettre toujours en avant les mêmes auteurs : Andersen, les frères Grimm, Charles Perrault. 

Cependant, Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d'Aulnoy (1652-1705) fut l'exacte contemporaine de Perrault, mais on parle bien moins d'elle ! Autrefois - il y a près d'un demi-siècle - les éditions François Beauval, spécialisées dans la vente par correspondance, proposaient Les Fées à la mode de Madame d'Aulnoy. Plus tard, les éditions de poche Folio classique proposèrent en leur catalogue les contes de fées de l'intéressée, en un volume, et, en une édition plus économique à 2 € La Princesse Belle Etoile et le prince Chéri. C'est mieux que rien.

Les Fées à la mode, parues en 1698, fut la première oeuvre de Madame d'Aulnoy dont j'eus connaissance, à l'âge de 11 ans. 

Cette écrivaine, qui tint salon à la fin du XVIIe siècle, eut une vie bien plus intéressante que ce qu'on pourrait penser. Comme toutes les jeunes filles de condition de son temps, chose critiquée par Molière, elle fut contrainte au mariage en 1666, à l'âge de 14 ans, avec François de La Motte, baron d’Aulnoy en Brie, fils de Jean de La Motte de Lucière. C'était, on le devine, un barbon, de plus de vingt ans son aîné, et un ivrogne, coureur et débauché notoire ! 

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Inutile de nous appesantir sur le complot fomenté contre ledit mari, en 1669, qui le fit embastiller (il finira par être relâché). De cette cabale rondement menée, il ressort que Monsieur d'Aulnoy aurait été un amant probable de César de Vendôme (1594-1665), fils naturel de Henri IV, valet à son service, comploteur notoire (par exemple, la cabale des importants de 1643), dont l'homosexualité servit ses ennemis. A noter que le duc de Beaufort, le fameux "roi des Halles" de la Fronde, que d'aucuns autrefois considérèrent comme un possible "masque de fer", était un des fils dudit César !

 César de Vendôme âgé. 

L'affaire du complot se retourna contre les partisans de la baronne d'Aulnoy qui furent condamnés à la décapitation.  Elle même ne dut son salut qu'à une fuite rocambolesque et un exil à travers l'Europe (Flandres, Angleterre, Espagne), ne revenant définitivement en France qu'en 1685. 

Après cette phase agitée de sa vie, Madame d'Aulnoy s'assagit. Personnage digne d'intéresser tous les Alain Decaux en herbe, elle choisit de mener une vie retirée au réputé faubourg Saint-Germain à compter de 1690, y tenant même salon. Amie de Saint-Evremont,

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qui fut, au risque de l'oxymore, à la fois moraliste et libertin, notre baronne accueillit tous les beaux esprits féminins de son temps : Antoinette des Houlières et sa fille Antoinette-Thérèse, Henriette-Julie de Castelnau de Murat, Marie-Jeanne L'Héritier de Villandon et la princesse de Conti. C'est donc en 1690 que débute la carrière littéraire de l'intéressée, avec par exemple les estimés Mémoires sur la cour d'Espagne. Ce fut une pionnière, qui devança Perrault en la matière, puisque son premier conte de fées se trouve inséré dans L'Histoire d'Hippolyte, comte de Douglas, en 1691, sous le titre L'Île de la Félicité. Ce texte contribue à lancer la mode des contes, avant ceux de ma mère l'Oye  de Charles Perrault, datés de 1697.

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Il serait difficile d'envisager qu'il s'agissait d'une mise en concurrence des autrices et auteurs de contes de fées.  A l'aune de leur succès, qui ne se démentit pas, on ne peut, à proprement parler, inventer la notion de "marché concurrentiel" du genre. Ce serait un anachronisme grossier, une manière de vouloir faire cadrer à tout prix le passé avec le présent, comme on le fait par trop de nos jours. Toujours fut-il que Madame d'Aulnoy multiplia les récits féériques, souvent teintés de préciosité, à cause de l'emploi de néologismes à la manière de La Fontaine. 

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Cette notoriété la servit : elle fut la septième femme admise à l'Académie des Ricovatri de Padoue, sous le surnom de Clio, muse de l'Histoire,  mais aussi de "l'éloquente". Madame d'Aulnoy, comme tant d'autres écrivaines, fut la victime d'une histoire de la littérature, écrite par des hommes, qui, en particulier au sujet du Grand Siècle, mit en avant la constellation des génies masculins du classicisme louis-quatorzien, à l'exception toutefois de Madame de La Fayette. Les contes de Madame d'Aulnoy furent dès lors considérés comme des oeuvres de second plan, bien qu'elles fussent de temps à autre rééditées. 

Prochainement : le catéchisme des Pieds Nickelés.

Les pieds nickelés tels qu'illustrés par L. Forton

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