C'était à Los Alamos en 1962.
L'émission mythique de la RTF - ORTF Cinq colonnes à la une consacra un reportage au centre de recherches nucléaires où fut mise au point la première bombe A. Ce reportage s'achevait par une brève interview en français de Robert Oppenheimer, très pessimiste. Dans ledit reportage, on apercevait furtivement un mannequin expérimental contenant un squelette humain. Je reconnus REMAB, qui, avec son congénère REMCAL, doté d'organes synthétiques, avaient été les vedettes d'un article du journal Spirou paru à la même époque. Nous avons rendu hommage à notre manière à ces deux "écorchés" cobayes.
Extrait du roman de Jocelyne et Christian Jannone : La Gloire de Rama 4e partie : l'apothéose du Migou chapitre 23.
(...) Quelques minutes plus tard, Fermat
déambulait tranquillement dans des salles qui s’enfilaient, au milieu de gens
affairés, tous protégés par des tenues antiradiations lourdes et encombrantes,
d’un modèle démodé. Le commandant observait tout, tout en faisant mine de
savoir où il allait. En son for intérieur, il pensait que la sécurité des lieux
laissait franchement à désirer! Puis, il avisa enfin quelques caméras qui fonctionnaient
en circuit fermé. Alors, un petit frisson le parcourut moins d’une seconde, mais
sa peur rétrospective s’éteignit car, si on l’avait repéré, on l’aurait déjà
arrêté!
S’enhardissant, comprenant que sa
tenue l’empêchait d’être identifié avec précision longtemps encore, André
s’approcha d’un antique ordinateur, un de ceux qu’il avait pus admirer dans des
musées, sa curiosité archéologique émoustillée. Mais une main se posa sur son
épaule, le faisant sursauter. Il se retourna brusquement pour voir à qui ou à
quoi il devait faire face.
- Hey, Jim, dépêche-toi au lieu de
musarder ainsi! Tu vas être en retard! Dit un grand escogriffe en riant, avec
l’accent du Colorado. C’est l’heure du bain de tes mannequins!
- Hein? Souffla Fermat ne saisissant
pas.
- Mais oui, voyons! Rétorqua Joey. Ne
me dis pas que tu ne t’es pas remis de ta bringue d’hier soir! Allez, viens
avec moi! Faut pas que le patron soit au courant. Tu connais le général
Patterson.
Joey entraîna son compagnon jusqu’à
un quartier à très haute sécurité. Sur la vitre sur laquelle sa silhouette se
reflétait, Fermat put déchiffrer son badge identificateur: James Nielström. Son
ami répondait au nom de Joey Inquart. Ayant pénétré dans le saint des saints,
les deux ingénieurs militaires se séparèrent, chacun rejoignant son poste.
Avant de s’éloigner, Joey ajouta:
- Fais gaffe! Les docs Langham et
Andreus t’ont à l’œil.
Dans l’expectative, Fermat enregistra
tous les détails du laboratoire. La salle, de taille moyenne, présentait une
forme cubique, avec des parois de métal aux boulons bien visibles. En hauteur
et sur le côté, il remarqua aussi un vitrage de protection. Derrière celui-ci,
se tenaient une jeune femme et deux hommes en blouse blanche. Ils avaient des
blocs-notes sous les yeux et comparaient de mystérieux résultats.
Avisant le nouveau venu, Anne lui fit
signe que tout était OK et qu’un nouvel essai pouvait commencer. Ce fut à ce
moment que Fermat vit enfin ce que la pièce comportait de remarquable: deux
fauteuils-couchettes munis de courroies, sur lesquels étaient allongés, dans
des positions grotesques, deux mannequins, effrayants au premier abord tant ils
rappelaient les écorchés classiques. Mais André ne s’y trompa pas. En eux, tout
était synthétique, sauf le squelette.
- Ai-je la chance inespérée pour un
esprit tourné comme le mien de me retrouver au moment historique où les
Américains procédaient à des expériences sur ces squelettes et écorchés
mannequins de légende répondant aux noms ridicules de REMAB et REMCAL, afin de
connaître précisément les effets de la radioactivité sur les organismes? Pour
parler comme à cette époque de paranoïa: combien de minutes faudra-t-il aux
Soviétiques pour crever sous les bombes américaines ou inversement?
C’était REMAB qui contenait le
squelette. En outre, il était doté d’une paire de poumons en plastique ainsi
que d’un système de tubes creux dans lesquels circulait une solution supposée
absorber les radiations comme l’aurait fait un tissu humain! REMCAL, quant à
lui, comprenait les différentes répliques des principaux organes: foie, rate,
reins, poumons, thyroïde… Chaque élément était rempli d’un liquide radioactif.
Parfaitement à l’aise dans la peau du
technicien, Fermat ajusta les mannequins, les sanglant solidement sur leurs
sièges de torture. Puis, il descendit de quelques mètres le « canon »
chargé de bombarder les cobayes de particules radioactives. Se tournant vers un
micro incorporé dans la paroi, il jeta d’une voix ferme:
- Opération over! Lancez le jus!
Il faillit ajouter « demi
impulsion » comme à bord du Sakharov mais se ravisa à temps!
Le bombardement fut très bref. Nul
rougeoiement ou lumière. Les trois laborantins s’empressèrent de noter,
toujours à l’abri derrière leur vitre, leurs observations, enrichies des
informations du pseudo Nielström.
Mais un grondement furieux accompagné
de mots indistincts interrompit le travail des ingénieurs. Un lieutenant, en
combinaison de protection, hormis le casque, se mit à tambouriner avec force
contre la porte du labo tout en criant:
- Arrêtez tout! Stoppez tout, bon
sang! Vous ne voyez pas que c’est moi, Jim? L’autre est un intrus, un espion!
***************