La présence d'Antoine Watteau (Valenciennes 10 octobre 1684 - Nogent-sur-Marne 18 juillet 1721), peintre emblématique de la Régence, dans cette série d'articles, peut étonner plus d'un. Mais elle se justifie, et grandement, du fait d'une absence significative de commémorations médiatiques en 2021, ainsi que je l'ai déjà écrit. Sans doute une évocation de Nicolas de Largillierres (1656-1746) eût été plus logique, mais sa longue vie fait que sa carrière déborde largement le cadre de la Régence, en amont sous Louis XIV comme en aval après 1723.
Il vient de se passer pour Watteau la même chose que pour Apollinaire traité à la marge d'un documentaire consacré au cubisme et à la rivalité Picasso-Braque : Watteau se retrouve évoqué comme l'un des peintres rococo dont Auguste Renoir se réclamait dans une émission d'Arte racontant les débuts de la carrière du grand peintre, jusqu'à l'époque où il s'éloigna du mouvement impressionniste !
Le principal problème, avec Antoine Watteau, se trouve dans le titre de ses oeuvres : ses tableaux ont été intitulés a posteriori, par exemple La Finette, qui illustre le goût du peintre pour la musique de son temps.
Sans la biographie rédigée par le comte de Caylus (1692-1765), nous ne connaitrions pas grand-chose de la vie d'Antoine Wattteau.
Malgré un père violent, notre natif de Valenciennes ne vit pas sa vocation artistique contrariée, puisqu'il fut sans doute mis en apprentissage chez un peintre, cependant médiocre, Jacques-Albert Gérin, avant de s'installer à Paris, à Saint-Germain-des-Près, où résidaient de nombreux artistes du Nord, que l'on qualifiait à tort de Flamands. Watteau mangea de la vache enragée : sans appui ni ressources, il se retrouva employé par un "fabricant de peintures" établi au Pont Notre-Dame, réduit au travail servile de copies en séries d'images religieuses et de tableaux de genre. Il put cependant se lier à d'autres artistes comme Nicolas Vleughels (1668-1737),
Jean-Jacques Spoëde (1680-1757) et Claude Gillot (1673-1722),
Justement, Gillot aimait à représenter des sujets inspirés du théâtre, de la Commedia dell'arte, scènes champêtres, galantes et autres singeries. Prenant position en faveur des partisans de la couleur épigones de Rubens contre ceux du classicisme à la Poussin ou Le Brun, Watteau est remarqué par le financier et collectionneur Pierre Crozat,
et devient résident au château de Montmorency, puis à l'hôtel particulier de Crozat. Il rompt avec Gillot, tente le prix de Rome (il termine deuxième), entre en 1709 dans le studio du peintre décorateur Claude Audran III avant d'être enfin admis en 1712 à l'Académie de peinture. Ce n'est qu'en 1717 qu'il présente son morceau de réception à l'Académie, le Pèlerinage à l'île de Cythère dit de nos jours L'Embarquement pour Cythère.
A compter de cet événement, on peut considérer Watteau comme le peintre le plus emblématique de la Régence, le symbole d'une rupture radicale avec l'austérité des dernières décennies du règne de Louis XIV. On ne peut réduire Watteau à sa seule ville natale, comme on le fit hélas pour Diderot en 2013. Par exemple, les salles du Louvre consacrées à la peinture française du XVIIIe siècle sont loin de bénéficier d'une couverture permanente assurée, ce qui peut frustrer les amateurs de Watteau. Ensuite, il existe un film à son sujet qui, hélas, fut mal distribué : Ce que mes yeux ont vu de Laurent de Bartillat,
qui remonte à 2007. Ce film, dans lequel jouent Sylvie Testud, Jean-Pierre Marielle et James Thierrée,
un des petits-enfants de Charlie Chaplin, nous montre l'enquête obsédante de la comédienne, qui joue une thésarde en histoire de l'art, autour d'une femme mystérieuse apparaissant uniquement de dos dans tous les tableaux de Watteau. La médiocre distribution dudit film laissait mal augurer (par anticipation) des commémorations 2021 autour du grand peintre... Quant à l'affiche - qui servit de jaquette au DVD - elle fait allusion au Pierrot de Watteau - autrefois qualifié de Gilles - avec une divergence de taille par rapport à la peinture originelle : les yeux grands ouverts, écarquillés, en illustration explicite du titre du long métrage.
Lorsque j'étais enfant, et que je visitais le Louvre pour la première fois, la carte postale représentant la toile célèbre la qualifiait encore sous son ancien intitulé. De plus, il était écrit au dos de la carte que ledit chef-d'oeuvre datait de l'année-même de la mort de Watteau, 1721, alors que désormais, on pense que ce portrait fut exécuté vers 1718-1719. L'audace apparente du cadrage du personnage central s'explique davantage par le fait que le tableau fut coupé. Enfin, l'utilisation massive du blanc de céruse dans les pigments du tableau - surtout pour le costume du personnage de la commedia dell'arte - a fait émettre l'hypothèse que le grand peintre serait mort d'un empoisonnement dû à ce pigment et non pas de phtisie.
On peut conclure que, malgré les aléas et les absences télévisuelles, Antoine Watteau n'a aucunement été oublié par la postérité : c'est simplement l'était général de délabrement culturel qui, malgré une année 2021 pour une fois assez remarquable sur le plan commémoratif, explique sa regrettable omission au même titre que Keats, Fernandel, ou Paul Valéry.
Prochainement : un petit tour à la redécouverte de la cinéaste Germaine Dulac, trop souvent tue au profit d'Alice Guy.
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