Si les chats portaient des gants, ils n'attraperaient pas de souris (proverbe hindou).
Ah Alice Guy !
Combien de journalistes semblent tomber des nues et déclarent mordicus que la première cinéaste française n'a été que très récemment redécouverte ! C'est oublier que cela fait bien plus de trente ans que je suis au courant de son existence ! C'est oublier aussi que la regrettée Christine Pascal (1953-1996) interpréta ladite pionnière du septième art dans un téléfilm daté de 1983 de la tout autant bizarrement oubliée Caroline Huppert : "Elle voulait faire du cinéma.".
Celle qui ici m'intéresse suivit Alice Guy de près car c'est dès 1916 qu'elle s'engagea dans l'avant-garde filmique. Germaine Dulac (1882-1942), deuxième femme cinéaste hexagonale, demeure étrangement omise par celles et ceux qui se targuent de ressusciter les grandes figures féministes du passé.
A défaut de bénéficier d'une diffusion télé - même à 2h du matin ! - les films de Germaine Dulac sont accessibles sur YouTube, ce qui constitue un paradoxe de taille ! Si le premier film de Germaine Dulac remonte à 1915 (Les Soeurs ennemies), c'est bien en 1916, avec la création de la société DH Films en association avec Irène Hillel-Erlanger (1878-1920), que sa carrière prit son essor. Longtemps, La Coquille et le Clergyman (1928), adapté d'Antonin Artaud,
fut le seul film de Germaine Dulac dont je parvenais à retenir le titre.Une revue d'histoire du cinéma du milieu des années 1980, vendue chez les maisons de la presse, appuyait trop sur l'aspect intellectuel expérimental rébarbatif des films de Germaine Dulac, par trop d'avant-garde selon certains rédacteurs frileux et chagrins.
Sorti en 1923, La Souriante Madame Beudet est un film estimé car considéré comme le chef-d'oeuvre de Germaine Dulac. Critique acerbe du mariage bourgeois, il s'agit là d'un des premiers films ouvertement féministes. Certes, les noms de ses interprètes sont oubliés de nos jours (Germaine Dermoz, Alexandre Arquillière, Jean d'Yd etc.) mais la vidéo du film est trouvable sur le net. Ceci dit, Germaine Dermoz (1888-1966) eut une carrière longue, qui s'étend de 1908 au début des années 60 !
Germaine Dulac eut sa décennie glorieuse entre 1919 et l'avènement du parlant : outre les titres déjà évoqués, citons La Fête espagnole (1919), La Mort du Soleil (1921), ou encore ce que l'on peut qualifier de symphonies d'images : Disque 957 (1927) et Thèmes et variations (1928). Ce fut là son chant du cygne car la restructuration de l'industrie du septième art à compter du passage au sonore oblitéra une carrière pourtant brillante. La production indépendante, dans laquelle elle officiait brillamment, céda le pas au cinéma commercial. Germaine Dulac fut réduite à des activités de co-direction au sein des actualités Gaumont. Ses derniers courts métrages demeurent peu connus.
Toujours fut-il que Germaine Dulac représenta la première avant-garde française, en tant que figure de proue féminine aux côtés de Jean Epstein, René Clair, Marcel L'Herbier et Abel Gance, sous la houlette de Louis Delluc. Il est étrange qu'une chaîne comme Arte, dont le féminisme n'est plus à prouver, se désintéresse de Germaine Dulac et ne diffuse jamais ses films, pourtant restaurés pour nombre d'entre-eux.
N'oublions pas enfin que notre réalisatrice, productrice et scénariste fut une pionnière des ciné-clubs et appartint à la section cinéma du Conseil national des femmes françaises, section qu'elle présida dans les années 1930. Une injustice flagrante est donc à réparer d'urgence : il n'y a pas qu'Alice Guy (alors qu'une réalisatrice plus tardive, Jacqueline Audry,
connaît un réel regain de faveur !). Décédée à Paris le 20 juillet 1942, Germaine Dulac repose au Père-Lachaise. Espérons que sa sépulture soit fleurie régulièrement !
Prochainement : un peu de littérature contemporaine avec Olga Tokarczuk : Sur les ossements des morts.