mercredi 28 avril 2021

Ces écrivains dont la France ne veut plus 35 : Judith Gautier.

 Comment ? L'Académie chicagolaise est là ? Ces Hayek, ces Friedman, ces Coase, ces Becker, ces Fogel, ces Lucas...  tous ces noms dont aucun ne mourra ! (Cyber Cyrano de Bergerac ultralibéral).


Elle fut l'épouse de Catulle Mendès. Elle devint en 1910 la première femme élue à l'Académie Goncourt, soit 70 ans avant l'Académie française. Bien que fille de Théophile Gautier, elle sut se faire un nom. Elle naquit le 25 août 1845 à Paris et mourut le 26 décembre 1917 à Dinard. Les médias contemporains ont ignoré le centenaire de sa disparition, qu'ils se prétendent ou non féministes. Elle se nommait Judith Gautier. 


https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d3/Atelier_Nadar_-_Judith_Gauthier_%281850-1917%29%2C_Schriftstellerin_%28Zeno_Fotografie%29.jpg

Evoquons-la. L'histoire de la littérature a trop longtemps été écrite par les vainqueurs masculins, au point qu'un site comme Babelio, réputé pour son exhaustivité livresque, constate : 
"Connaissez-vous l'auteure? C'est la fille de Theophile Gautier, celui qui a écrit le Capitaine Fracasse et le roman de la momie (celui que j'ai lu).
Eh oui, de plus, c'est la 1ère femme de l'académie Goncourt! Mais alors, pourquoi n'est-elle pas plus populaire? Au 19e siècle, peu de femmes écrivaient." (constat amer du critique "red_inblue" en date du 15 juin 2019). Isoline, sorti en poche voici quelques années aux éditions Talents Hauts, collection Les plumées, est une des rares oeuvres de Judith Gautier exhumée par les éditeurs au XXIe siècle. 
D'emblée, il y a ambiguïté car deux Isoline existent et cohabitent dans une égale négligence mémorielle : le roman de l'intéressée et le livret que Catulle Mendès, époux un temps de l'impétrante, écrit pour l'opéra-féérie d'André Messager en 1888,
 Image dans Infobox.
 
 sans qu'il s'agisse à proprement parler d'une adaptation du texte de Judith Gautier, dont la brièveté l'assimile à une nouvelle, parue initialement en 1882. La seconde Isoline eût pu fasciner les passionné(e)s de littérature et d'art transgenre dans la lignée du philosophe Michel Foucault, car comme Orlando de Virginia Woolf (analysé en 2013 en ce même blog) l'Isoline de Messager et de Catulle Mendès (qui mourut dans un stupide accident de train) est un change-sexe... Les deux textes nous apparaissent antagonistes et antinomiques. La féérie grotesque de Messager et Catulle Mendès, longtemps oubliée elle aussi, prête plutôt à sourire. Le roi des fées, Oberon, se querelle avec Titania, la marraine d'Isoline, âgée de seize ans. Oberon condamne Isoline à se transformer en homme dans son lit nuptial le jour de son mariage. Il y a une confusion soigneusement entretenue, qui tourne dans l'intrigue à un échange de sexe et de genre, entre Isoline et son promis, le prince Isolin ! Tttania a veillé à ce qu'Isolin, lors du premier baiser échangé avec Isoline, alors que celle-ci devient garçon, se métamorphose en fille : ainsi, tout le monde est quitte ! 
Toute autre apparait la nouvelle de Judith Gautier, davantage romantique et gothique : un officier de marine, Gilbert, mélancolique, rencontre une jeune fille, Isoline, dont il tombe amoureux. L'histoire cesse d'être banale lorsqu'on apprend que le père d'Isoline, veuf, la séquestre presque dans un château sinistre où il la tient isolée, refuse de lui parler et évite tout rapport avec elle. Gilbert change la donne. Cependant, le père de l'héroïne, impitoyable, la punit en décidant de l'enfermer dans un couvent... L'action se déroule près de Dinant. Judith Gautier dénonce le pouvoir du pater familias tout puissant (renforcé par le code Napoléon, tiens, tiens...) et use avec brio des thématiques des contes et des romans gothiques et courtois. Cette histoire de recluse peut aussi se rapprocher un peu de la littérature anglaise, du moins en ce qui concerne l'idée d'enfermement (Anne Brontë et la recluse de Wildfell Hall qui cependant, critique dans son oeuvre la puissance abusive des maris).
Comme tant d'autres écrivaines avant et après elle, Judith Gautier fut contrainte de publier nombre de ses oeuvres sous un pseudonyme : Le livre de jade en sa première édition de 1867, parut avec le nom de Judith Walter. Il fallut attendre la réédition remaniée de 1902 pour que le nom réel de l'autrice fût révélé. Il s'agit d'un recueil de poésies chinoises, qui sont davantage des adaptations de traductions qu'une traduction directe (Judith Gautier n'était pas sinologue). Le succès fut important, le recueil plusieurs fois reprit, mais il eut l'inconvénient de véhiculer une idée  fausse de la poésie de l'Empire du Milieu ! 
 
Il existe bien entendu d'autres ouvrages moins renommé - et c'est dommage - de Judith Gautier. Ils ont sombré dans les fosses abyssales de la littérature : citons pêle-mêle des romans comme Le Dragon impérial, L'Usurpateur, Lucienne, le Roman d'un Eléphant blanc, la pièce de théâtre Les Ramiers blancs ou cette Femme de Putiphar pour laquelle je n'ai rien à dire, faute de documentation. Judith Gautier a poursuivi sa carrière d'écrivaine jusqu'à son dernier souffle, multipliant les articles, les contes, les nouvelles, les oeuvres dramatiques, les essais musicaux, notamment sur Wagner. En vain, ai-je la tentation d'écrire. C'est bien dommage : si on jauge la qualité d'une autrice à l'aune de son actualité, on ne va pas loin et seules des icônes surnagent, comme Colette, hélas ! 

Prochainement : reprise de la série des peintres dont on ne veut plus volet 8 : le baron Gros.

Image dans Infobox.

dimanche 11 avril 2021

La Commune un peu, Baudelaire nada.

 C'était une évidence, une porte ouverte enfoncée, une lapalissade, un truisme : les commémorations télévisuelles de l'année 2021 sont d'ores et déjà très mal engagées, et Charles Baudelaire, en un bis repetita rappelant 2017, se retrouve, une fois n'est pas coutume, dans le collimateur de l'inculture ignare institutionnalisée. 



Nos chaînes publiques et culturelles auraient dû faire quelque chose pour lui en avril 2021, autour du 9 en particulier, afin que cela coïncidât avec le bicentenaire de sa naissance. Evidemment, rien ne fut fait, comme on peut le constater de visu, tout simplement en lisant les grilles des programmes... et mai, dont les programmes commencent désormais à rentrer, n'augure toujours rien de bon. 

La Commune de 1871 est un peu mieux lotie, à peine, d'ailleurs. Deux  émissions, et rien d'autre pour le moment... 


Certes, l'émission qu'Arte diffusa le 23 mars dernier était particulièrement réussie d'autant plus qu'il s'agissait de l'adaptation de la bande dessinée Les Damnés de la Commune  - roman graphique uniquement constitué de gravures d'époque - de Raphaël Meyssan. Excellent, mais trop peu, là où on eût légitimement attendu que France Télévisions coopérât à cette commémoration. A ce jour, les chaînes du service public se décident enfin à annoncer, sur France 5 et à un horaire tardif le dimanche 2 mai (22h40 !) un second documentaire piloté par Jean-Yves Le Naour : 1871, La Commune : portrait d'une Révolution. La démarche, inverse de celle d'Arte, est axée sur les photographies. C'est à croire que presque tout le budget est passé chez Napoléon !

Pendant ce temps, Baudelaire pour suit son long calvaire télévisuel : ainsi, le 27 avril, dans la rubrique culturelle de France infos, il eut droit à 20-30 secondes de présentation du chef-d'oeuvre d'Yslaire, Mademoiselle Baudelaire. Trop peu, vraiment trop peu !!! 

Bref, si l'on tient absolument à Baudelaire, mieux vaut avoir affaire à Madelen, site de l'Ina, qui a récemment mis en ligne le documentaire de Yannick Bellon diffusé en décembre 1967 : La Plaie et le Couteau Charles Baudelaire. Tant pis pour les personnes qui exècrent le noir et blanc et se privent ainsi d'un patrimoine télé et cinéma considérable... 

Prenons Madame de Staël comme exemple édifiant de réactivité culturelle de la télévision. Alors qu'en 2017, j'avais bien compris que rien ne serait fait à son sujet, il aura fallu attendre le bicentenaire de la mort de Napoléon pour que des émissions documentaires et des débats l'évoquent comme figure majeure d'opposante à l'Empire ! 

 Image dans Infobox.

De fait, on peut considérer que l'absence pour l'instant intégrale de Baudelaire sur les chaînes publiques ou culturelles à l'occasion d'un bicentenaire limité aux seuls éditeurs (qui eux, font leur travail de manière admirable) constitue un coup de grâce à la culture littéraire antérieure, en particulier celle transmise par le lycée : Baudelaire incarnait un des piliers incontournables, un des auteurs impossibles à éluder par nos professeurs de français. Désormais, ils et elles doivent se retourner dans leur tombe !!!  Je le répète : si vous voulez absolument goûter à Baudelaire, lisez-le, écoutez-le sur la chaîne YouTube Eclair brut ou regardez-le sur Madelen !  


Prochainement : trente-cinquième volet de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus : Judith Gautier (1845-1917).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/6a/Judith_Gautier_circa_1880.jpg