samedi 24 mars 2018

Commémoration du centenaire de la mort de Claude Debussy 2018 : Entrée Libre, Actes Sud et France Musique seuls (pour l'instant ?).

Par Cyber Léon Bloy.

 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/78/L%C3%A9on_Bloy_2.jpg/220px-L%C3%A9on_Bloy_2.jpg

Ragnachaire, roi de Cambrai, avait des moeurs si déréglées que ses parents et ses proches n'étaient point à l'abri de ses passions effrénées. (Grégoire de Tours : L'Histoire des rois francs chapitre premier traduit du latin par J.J.E.Roy)
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/0b/CDebussy.JPG/1200px-CDebussy.JPG
Commençons ce billet irascible par un constat impitoyable : la télévision (peut-être faut-il définitivement écrire l'a-télévision, lorsque l'on se remémore ce qu'elle fut autrefois, avant que la réclame ne la corrompît sans appel) est fâchée depuis au moins trente ans avec la musique du sieur Achille-Claude Debussy. Cela remonte sans doute à ces humiliants zéro pourcent d'audience enregistrés lorsque l'ancienne France Régions Trois commit en 1988 une diffusion de l'opéra du susdit Pelléas et Mélisande qui fut promptement submergée par le tintamarre, le bazarnaum autour de la libération "en direct" des otages français au Liban... 
En 1995 se produisit, ainsi que cela fut jà évoqué en ce blog, le refus de France Télévision de programmer Chouchou, cette improbable dramatique de la série fictionnelle La Musique de l'Amour, oeuvre au titre bien mal interprété !
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c2/Edmund_Blair_Leighton_-_Pelleas_and_Melisande.jpg/250px-Edmund_Blair_Leighton_-_Pelleas_and_Melisande.jpg 
Pourquoi donc une telle incompatibilité, dont les conséquences se font encore sentir cette année, puisque Arte elle-même n'a absolument rien prévu pour ce centenaire de deuil debussyste ce 25 mars 2018, date désormais à marquer d'une pierre noire culturelle ? Arte, m'objecterez-vous, est coutumière des non-célébrations de centenaires uniques ou multiples des morts de grands compositeurs. Rappelons Rimsky-Korsakov, Corelli, Scriabine, Albeniz, Granados et j'en omets...
Dans un dossier remarquable de deux pages intitulé Claude Debussy, ce moderne méconnu, dossier publié en ligne puis dans son édition papier les 23-24 mars, Le Monde essaie d'expliquer les raisons du désamour culturel entre Debussy et son pays, et constate que les Britanniques en auront fait plus que nous pour le commémorer. L'absence la plus choquante d'hommages demeure celle de la télévision car jusqu'à présent, il faut se contenter des cinq minutes trente-deux secondes consacrées au sujet "Claude de France" par Madame Claire Chazal fin janvier dans son émission "Entrée libre". Le silence ahurissant d'Arte dans ce domaine devient donc chaque jour plus obscène puisqu'elle se contente de la mise au "net" du concert diplomatique donné en ce début d'année pour madame Merkel tandis que l'Ina vient de réduire Debussy à la mise en ligne d'un documentaire de... 1952. Tout (ou presque) repose donc sur la radio publique : France Musique et France Culture (désormais bien plus référentielles qu'Arte devenue trop généraliste et branchée ultra présentiste, surtout côté hexagonal...) ainsi que sur Saint-Germain-en-Laye, qui reprend le fort peu glorieux rôle de la restriction de la gloire internationale de Debussy à la seule dimension locale, tels Diderot à Langres et Saint-Just à Decize.
Dans cette déplorable affaire, notre a-télévision apparaît désormais comme la télévision de la honte, le seul média qui n'a pas su, ou pas voulu consacrer la moindre émission digne de ce nom à la mémoire de Claude Debussy,
 https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/917RoeWnueL._SL1000_.png
 pourtant aussi important pour la musique que le furent les impressionnistes pour la peinture, Rodin pour la sculpture et Marcel Proust pour la littérature... Si en 2017, nos médias audiovisuels n'avaient pas octroyé la moindre attoseconde d'antenne à Rodin, le tollé eût été général, de la marine bleue aux forces politiques les plus écarlates. Le travail de la presse fut honnête, à la curieuse exception de nos mensuels consacrés aux disques classiques, qui n'ont été parturients (pour le moment ?) d'aucun numéro spécial ou thématique sur "Monsieur Croche" et son esthétique. L'édition a fait dans le passable (moins cependant pour Debussy que pour Madame de Staël, qu'elle sauva d'un désastreux bicentenaire marqué par l'absence et le silence intégraux, hors la Suisse, et encore).
Sommes-nous atteints, en l'hexagone, de surdité ou de cécité lorsqu'il s'agit d'honorer les personnalités antérieures à un passé par trop contemporain ? Il est significatif de se rappeler que le dernier documentaire digne de ce nom tourné sur Debussy remonte à 1990, et qu'il était allemand. La chaîne Planète, bien meilleure qu'actuellement, le diffusa en octobre 2000 (source : archives personnelles car j'avais en ces temps révolus la vilaine habitude de noter et lister les documentaires que j'enregistrais). Les documents sur Debussy hébergés par Ina.fr tournent autour du demi-siècle ou à peu près.
 https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2017/08/02be3335-4200-427b-9260-0537be849038/600_sans_titre-6.jpg
Si l'on se réfère à notre seul mois de mars, le mal paraît irréparable et le préjudice culturel commis irrémédiable. Or, voici qu'en ce jour (j'écris présentement ces lignes le 27 mars, soit deux jours après l'anniversaire du décès du susdit musicien) j'apprends qu'enfin Diapason a mis du coeur à l'ouvrage et annonce, pour le lendemain 28 mars, la sortie de son numéro d'avril axé sur Debussy ! C'est donc bien le scénario fâcheux de Diderot qui se répète pour Claude de France : commémorations limitées souventes fois au local, absence intégrale ou presque à l'a-télévision et parution avec un mois de décalage d'un numéro mensuel de magazine spécialisé à lui consacré. A la différence que, au contraire de Diderot pour lequel l'entrée au Panthéon fut un temps envisagée, nonobstant la perte des restes (pour Condorcet, en 1989, cela ne représenta pas un obstacle...) nul ne songea à proposer la panthéonisation du sieur Debussy ! Le Panthéon continue conséquemment d'être désespérément vide du moindre musicien.
Que reproche-t-on à la parfin à Achille-Claude ? Sa musique est-elle encore si inécoutable ? (il semblerait que les orchestres contemporains peinent à le déchiffrer, à le mettre en place si l'on en croit Le Monde) Casse-t-elle tant que cela nos oreilles accoutumées à des arts officiels auditifs omnipuissants et tonitruants tels le rap ou le rock ?  Fut-il trop nationaliste, trop patriote, trop anti-boche ? Souffre-t-il d'une absence fâcheuse d'engagement politique, lui qui demeura au-dessus de la mêlée durant l'Affaire Dreyfus ? C'eût été pire s'il eût, comme le trop encensé Jules Verne, cette vieille barbe iconique xénophobe, ou tel Florent Schmitt son presque contemporain, proféré des paroles antisémites, par la plume ou par la bouche, s'il se fût acoquiné avec les ordures fragrantes d'immondices qui avaient nom Drumont ou Maurras, s'il se fût accommodé voire compromis avec le lobby colonial d'Eugène Etienne
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4e/Eug%C3%A8ne_%C3%89tienne_1914.jpg/220px-Eug%C3%A8ne_%C3%89tienne_1914.jpg
 et consort, lui dont finalement le seul tort semble être d'avoir intitulé un de ses morceaux Le petit Nègre, terme considéré comme ni péjoratif, ni insultant en 1900 et quelques. On prétend Debussy secret, difficile à livrer : il cachait avec soin ses opinions, dévoilait peu sa pensée... Ecrivait-il sincèrement ce qu'il pensait, ce critique, ce Monsieur Croche, ou dissimulait-il ? Acerbe feutré presque pudibond ou personnage acide et blessant mine de rien, doté d'une insultante subtilité, maniant le sous-entendu diffamatoire avec maestria ?  Donnons un bref exemple : Debussy, dans son texte de Monsieur Croche consacré à Vincent d'Indy (monarchiste, nationaliste et antisémite), traita la musique Wagner d"héroïque cabotinisme". 
Il collectionna les aventures féminines et sa première épouse Lilly Texier tenta de se suicider après qu'il eut rompu. Fut-il trop mâle pour notre irénique  XXIe siècle aussi bien léché qu'un ours gluant en mauvaise gomme ou peluche ? Debussy n'est donc pas une personnalité "unanimiste" faisant à la fois sens et consensus, à son grand dam, contrairement à un Delacroix dont on annonce la diffusion du troisième documentaire consécutif en trois semaines à peine. Ah, si l'an passé, Baudelaire avait eu droit à la même couverture télé, à la même faveur "politique", censuré sous de Gaulle pour des raisons contraires à celles présidant au boycott actuel ! Hélas pour lui et pour Claude de France ! Si Delacroix
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9d/Eugene_delacroix.jpg/260px-Eugene_delacroix.jpg
 avait affiché un ultra-royalisme militant tout en ayant possédé exactement le même génie novateur dont ne l'eussent point privé les muses et les fées, nul ne parlerait plus de lui et il serait relégué dans des expositions confidentielles à la Félicie de Fauveau dont il eût partagé les idées. Car l'on sait que, depuis l'affaire d'école quasi jurisprudentielle du billet des frères Lumière en 1995, nos pouvoirs publics ne possèdent plus la capacité de dissocier l'oeuvre de son auteur, lorsque ses idées s'avérèrent déplaisantes nonobstant son génie artistique...La phraséologie a d'ailleurs opté pour le terme "nauséabondes". Cherchez la fosse à purin et le charnier à carcasses putrescentes !
Il existe cependant un paradoxe dans l'affaire de la négligence obtuse de Claude Debussy : un autre compositeur vécut peu ou prou les mêmes années que lui et présente des qualités éminentes propres à séduire tout le spectre politique, du bobo calcifié et ankylosé dans mai-68 au marinien bleu nostalgique du bouclier Pétain et de l'épée de Gaulle. Lui était glabre. Lui se sacrifia contre l'ennemi en 1914. Lui fut dreyfusard et écrivit l'Hymne à la justice. Lui fut féministe. Il se nommait Albéric Magnard et presque jamais, au grand jamais, une seule note de ses oeuvres n'a été ouïe à la télévision depuis quarante ans ou à peu près...
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ec/Lucien_Alb%C3%A9ric_Magnard.jpg
Si Claude Debussy n'est pas célébré comme il se doit en 2018, nul ne le sera après lui, ni les Fauré, ni les Saint-Saens, ni les Roussel qu'il côtoya mis à part peut-être Ravel... Le Monde craint à juste raison que le coche ne soit raté, comme pour Henri Dutilleux en 2016, réduit à la pantalonnade de l'affaire d'une plaque, événement clownesque, pourri de mauvais flegme, conté jà en ce blog. Quant aux autres commémorés possibles de l'an 2018, nés ou morts en 1768, 1818, 1868 ou 1918, ils ont du souci à se faire, décidément, compte tenu du stade avancé de putridité culturelle dans lequel nous nous complaisons et nageons comme un poisson rouge en un aquarium souillé par ses propres fèces ichtyologiques. Que transmettre en 2018 ? Delacroix, Apollinaire et mai-68 seuls ?

Prochainement : reprise de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus (23e volet). J'y aborderai le genre science-fiction en la personne de Jimmy Guieu.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e7/Jimmy_Guieu_photoSalon75a.jpg

samedi 10 mars 2018

Saint-Just 2017 : cette simple figure locale de la France périphérique.

Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle. On pourra persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie qu'on m'arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux. (Louis-Antoine de Saint-Just : préambule aux Fragments d'institutions républicaines)

La révolution est glacée, tous les principes sont affaiblis, il ne reste que des bonnets rouges portés par l'intrigue.
L'exercice de la terreur a blasé le crime comme les liqueurs fortes blasent le palais.
(Louis-Antoine de Saint-Just : Oeuvres complètes)

On ne peut point régner innocemment. (Louis-Antoine de Saint-Just : Discours sur le jugement de Louis XVI prononcé à la Convention nationale le 13 novembre 1792)

 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b0/Louis-Antoine-de-Saint-Just.jpg/180px-Louis-Antoine-de-Saint-Just.jpg
L'on pense communément - eu égard à la caisse de résonance des médias, de la télévision à la Toile - que seules les personnalités d'extrême droite, comme Louis-Ferdinand Céline et Charles Maurras peuvent susciter l'exclusion explicite des commémorations nationales. Or, il existe une tendance à l'exclusion implicite de personnalités de l'autre camp, jugées trop anarchistes (Léo Ferré) ou irrévérencieuses (Octave Mirbeau). Certes, ces personnalités-là figurent bien dans l'ouvrage annuel officiel des commémorations, mais celui-ci n'a plus qu'une valeur indicative dans laquelle l'Etat ne puise qu'une infime fraction, et ne signifie plus grand-chose lorsque les événements et personnes y étant inscrits se trouvent restreints à des manifestations aux échos ténus, strictement locaux ou spécialisés, hors de toute couverture médiatique de vulgarisation intelligente. Louis-Antoine de Saint-Just appartient à cette catégorie d'exclus réduits au régional et au local, ou au colloque pointu, comme par exemple Diderot, Corneille D'Alembert ou Frédéric Mistral (au nord de la Provence, rien sur lui en 2014 ! ).
Saint-Just fait peur. Il dérange. Il est l'archange de la Terreur honnie. Saint-Just en 2017 n'intéressa donc que la Nièvre et l'Aisne, Decize où il naquit, Blérancourt où il vécut. Saint-Just, universel, se retrouve enkysté en un horizon étréci, un cadre géographique minuscule, situé en cette France périphérique étudiée par Christophe Guilluy. Excusez du peu, mais c'est une honte ! Même les Insoumis, si prompts à susciter le tintamarre, n'ont pas bronché ! 
Adonc, la mission des commémorations nationales propose ce qu'on pourrait commémorer en un recueil riche et touffu, et l'Elysée dispose, décide de ce qu'on doit commémorer vraiment, ainsi d'ailleurs que, parmi les autres pouvoirs décisionnels,  France Télévisions, Arte, la presse, les musées etc. A l'arrivée, gare à celles et ceux qui ne font pas consensus, qui sont soupçonnés appartenir (ou appartiennent) à des sphères politiques devenues infréquentables, d'extrême droite ou d'extrême gauche, à figurer telles des icônes rouges ou brunes, ou à venir d'être annexées à l'une de ces mêmes sphères après l'avancée des recherches historiques : ainsi en fut-il sans doute de Baudelaire, refusé en 2017, puisque classé désormais parmi la réaction à la Joseph de Maistre... 
A l'arrivée ne demeurent que les personnalités, au nombre fort réduit, faisant absolument consensus (j'allais ajouter parmi les bobos) : des commémorations lisses, conventionnelles, dépassionnées dirais-je, des commémorations Bisounours dignes des petits lapins à faveurs roses d'oncle Walt Disney (qui était proche du fascisme). 
Hors de la micro poignée des accepté(e)s (dont Barbara, qui, morte depuis moins d'un demi-siècle, n'aurait pas dû être officiellement et médiatiquement honorée, mais le mainstream dominant nous l'a imposée d'office après avoir voué Léo Ferré aux gémonies et à l'oubli intégral) les autres, tous les autres, se trouvent confinés au localisme le plus étroit, quel qu'eût été leur rayonnement international passé. 
D'ores et déjà, Claude Debussy,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Claude_Debussy_by_Marcel_Baschet_1884.jpg/220px-Claude_Debussy_by_Marcel_Baschet_1884.jpg
 par exemple, (j'y reviendrai prochainement) se trouve restreint à des manifestations diffuses, éparpillées entre France Musique (la seule institution culturelle ou presque à respecter la date anniversaire de décès du 25 mars), Saint-Germain-en-Laye (où il naquit en 1862), Tourcoing et Bordeaux (peut-être Claude de France, alias Monsieur Croche, est-il soupçonné d'ultra nationalisme et de racisme, parce qu'il commit d'une part Le Martyre de Saint-Sébastien en association avec Gabrielle d'Annunzio, parangon pour certains du pré-fascisme intellectuel, et qu'il composa d'autre part un morceau mineur que le CRAN pourrait considérer comme offensant et faire interdire définitivement de toute exécution, de toute diffusion sur les ondes et de tout enregistrement discographique sur notre territoire : Le petit nègre ?). Jules Verne, quant à lui, représentera toujours le paradoxe et l'exception de l'homme aux idées odieuses qu'en 2005 on sur-célébra tout de même... Nul en 2005 ne semblait avoir lu le superbe roman de René Reouven Voyage au centre du mystère (éditions Denoël 1995) qui dévoilait les quatre vérités sur le vénérable écrivain barbu déifié à l'excès... Jules Verne pue le racisme, l'antisémitisme et le nationalisme... Jules Verne, seul écrivain ancien qu'il eût fallu exclure de toute commémoration, alors qu'on oublia Diderot sauf à Langres ou en d'autres bourgades à Tuches ou à Ch'tis.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/77/F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_Jules_Verne.jpg/1200px-F%C3%A9lix_Nadar_1820-1910_portraits_Jules_Verne.jpg
Quid de Saint-Just, ce citoyen d'à peine Decize et Blérancourt, (assurément des trous perdus pour le bobo germanopratin gavé de musique commerciale post-moderne) dont l'oeuvre politique, réputée non-durable, est sciemment gommée ? 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/42/David_d%27Angers_-_Saint-Just.jpg/220px-David_d%27Angers_-_Saint-Just.jpg 
On ne peut réduire Saint-Just à ce conventionnel montagnard, ce bras droit de Robespierre, ce régicide, ce représentant en mission, ce membre du Comité de Salut public foncièrement haï du Paris et du pouvoir central contemporains qui gomment la quasi intégralité des figures historiques troublant l'ordre consensuel mou libéral-libertaire. Si cet homme politique précoce avait servi de porte-étendard à mai-68, on ne l'aurait pas escamoté en 2017... Saint-Just, précurseur glacial des totalitarismes rouges les plus sanglants ?  Pour moi, c'est le Saint-Just rapporteur de la loi du 8 ventôse an II qui importe le plus. C'est ce Saint-Just là, le Saint-Just social, qui aurait dû survivre. 
Il y eut deux décrets de ventôse : celui du 8 ventôse an II (26 février 1794) suivi de celui du 13 ventôse an II (3 mars 1794). Tous deux obéissaient à un principe de redistribution de type révolutionnaire. Il s'agissait d'une part de mettre en liberté les patriotes incarcérés et sous séquestre les biens des suspects, et d'autre part de procéder au double recensement des patriotes indigents et des détenus pour cause politique. En faisant procéder à la confiscation des biens des ennemis de la République, Saint-Just espérait la redistribution massive des fortunes. La politique sociale des Montagnards ne put aboutir du fait de l'accélération des événements ayant conduit au 9-Thermidor. Toujours est-il que Saint-Just avait espéré couper l'herbe sous les pieds des Enragés hébertistes, éliminés peu après. Dans son discours, il avait déclaré : 
" Les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux. Les malheureux sont les puissants de la terre." 
Bien que pouvant annoncer par certains aspects le marxisme, cette politique rappelle surtout les tentatives de réforme des Gracques au IIe siècle avant notre ère. Tribun de la plèbe en 133 avant J.-C., Tiberius Gracchus  souhaitait la limitation du droit de possessio individuelle et la redistribution des terres aux pauvres. Gaius Gracchus son frère, à son tour tribun de la plèbe en - 124, reprit l'idée de cette réforme agraire en plus de la création d'une colonie de peuplement de 6000 hommes sur le site de Carthage. Les Gracques périrent dans la violence, trop hardis pour leur temps. Mais les acteurs de la Révolution française étaient imprégnés d'histoire romaine, et les références à la République de Rome n'ont jamais manqué chez eux. 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/87/Eugene_Guillaume_-_the_Gracchi.jpg/800px-Eugene_Guillaume_-_the_Gracchi.jpg 
Réduire la Terreur au duo Robespierre-Saint-Just ou aux guerres de Vendée est commode. Parmi les thermidoriens, peu étaient des innocents aux mains blanches. Fouché, si célèbre, est autant coupable que d'autres Montagnards. Ne fut-il pas surnommé le mitrailleur de Lyon, lorsqu'il réprima les fédéralistes ? Quant à Saint-Just, dans la Comtesse de Charny, notre grand Alexandre Dumas rapporte une phrase de Danton à l'adresse de notre personnage, citation rapportée par Camille Desmoulins : "Tu portes ta tête comme un saint-sacrement."
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/ff/Joseph_Fouch%C3%A9.png/220px-Joseph_Fouch%C3%A9.png
Ainsi, la ténacité des légendes noires explique pourquoi Saint-Just demeure nationalement persona non grata, d'où ces ridicules manifestations de confinements locaux, à Decize, aux Forges royales de Guérigny, à Blérancourt ou à Soissons, ces manifestations s'étant échelonnées de juin à décembre 2017 dans le silence national optimal que l'on sait, comme s'il s'agissait de micro-rassemblements groupusculaires nostalgiques d'on ne sait trop quoi de rouge ou brun...
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/75/Saint-Just-French_anon-MBA_Lyon_1955-2-IMG_0450.jpg/220px-Saint-Just-French_anon-MBA_Lyon_1955-2-IMG_0450.jpg
 A noter qu'à Paris, se produisit tout de même un petit quelque chose, mini événement ignoré bien sûr, organisé par les Amis de Robespierre (oui, il y en a !) en l'anniversaire du 10 thermidor an II avec une visite de la Conciergerie et même une cérémonie au Panthéon (non, il n'est pas question de panthéoniser Saint-Just, puisque l'Etat n'a pas été fichu de le faire pour des personnalités bien moins "sanglantes" comme Berlioz, Diderot, Marc Bloch, Mendès France ou Maurice Genevoix). Si encore les célébrations localisées lilliputiennes s'étaient cantonnées au seul Saint-Just ! Non, elles deviennent monnaie courante pour ce qui ne plaît plus à Paris. Ainsi viens-je d'apprendre que Marcel Aymé, prévu lui aussi originellement dans les commémorations officielles 2017 pour le cinquantenaire de sa mort, fut aussi totalement oublié de nos élus nationaux et a-médias ! Il est vrai qu'être un anar de droite ambivalent, ce n'est pas commode... 
La multiplication des non-hommages nationaux permet de prendre la température de la putréfaction culturelle contemporaine. De fait, le thermomètre n'a pas la fièvre... il est proprement congelé à moins dix- moins quinze ! En cette glaciation généralisée, d'autres "prévus" pour cette fois-ci 2018 ont du souci à se faire : Edmond Rostand,
 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/5/51/Edmond_Rostand_en_habit_vert_01.jpg/260px-Edmond_Rostand_en_habit_vert_01.jpg
 Gounod, Claudel ou Chateaubriand, tous évacués depuis longtemps de l'actualité et de la pensée dite contemporaine... 

Prochainement : commémoration du centenaire de la mort de Claude Debussy 2018 : Entrée Libre, Actes Sud et France Musique seuls (pour l'instant ?).

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/43/Claude_Debussy_1909.jpeg/266px-Claude_Debussy_1909.jpeg