Me voici à présent aventuré sur des sentiers périlleux afin de tenir ma promesse d'aborder davantage d'écrivaines ou femmes de lettres. Le personnage dont je vais vous parler prouve que l'on peut hélas parfois marier la cause des femmes à des idées abjectes comme l'antisémitisme viscéral, celui de la fin du XIXe siècle, des Drumont, des Maurras et des antidreyfusards.
Gyp fut de ces femmes-là, et outre son style considéré comme daté, les positions odieuses qu'elle prit expliquent en grande partie l'oubli dans lequel elle tomba. Ce n'est pas sans raison que j'en fis une amie d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, ma poétesse fictive, qui partageait les mêmes opinions douteuses.
Gyp donc (ceci pour le nom de plume). En fait Sybille Riquetti de Mirabeau, dont seul subsista un temps d'une oeuvre abondante et désormais introuvable en commerce le célèbre Mariage de Chiffon. Gyp nom étrange, d'une brièveté d'onomatopée, qui sonne anglais, et ressemble à une abréviation des gypsophiles.
Evoquer la figure
controversée de Gyp, c’est entrer en correspondance avec une actualité brûlante
tournant autour d’écrivains et doctrinaires politiques influents dont
l’antisémitisme et le nationalisme dit intégral
constituèrent le fond de la pensée jusqu’à l’abjection, l’exil et
l’indignité nationale. Doit-on parler de Gyp ? Faut-il la lire, réimprimer
ses romans, au moment où des polémiques ont engendré des caisses de résonance
autour de la réédition avortée des pamphlets odieux de Céline et des commémorations
autour de Jacques Chardonne et de Charles Maurras ?
Doit-on gommer, ignorer, les aspects négatifs et noirs de l’histoire en général, et de l’histoire de la littérature en particulier ? Les polémiques ne sont aucunement nouvelles : dès 2011, Céline fut exclu de toute célébration officielle, le mot étant remplacé par commémoration. Dans le même temps, France Télévisions sut ne pas succomber aux sirènes de l’autocensure en programmant en première partie de soirée un docu-fiction consacré à Edouard Drumont, le fondateur en France de l’antisémitisme politique contemporain.
Doit-on gommer, ignorer, les aspects négatifs et noirs de l’histoire en général, et de l’histoire de la littérature en particulier ? Les polémiques ne sont aucunement nouvelles : dès 2011, Céline fut exclu de toute célébration officielle, le mot étant remplacé par commémoration. Dans le même temps, France Télévisions sut ne pas succomber aux sirènes de l’autocensure en programmant en première partie de soirée un docu-fiction consacré à Edouard Drumont, le fondateur en France de l’antisémitisme politique contemporain.
Qui se souvient que, dans
les années 1960, un François-Régis Bastide (1926-1996),
pourtant de sensibilité socialiste, souhaitait, dans l’émission Portrait souvenir consacrée à Arthur de Gobineau, théoricien français du racisme moderne, qu’on relût, rééditât la part romanesque de son œuvre, et si besoin était, qu’on le redécouvrît et le réhabilitât comme un écrivain majeur du XIXe siècle ? Qui sait que Roger Vaillant, communiste, préfaça l’édition de poche des Pléiades du même Gobineau ?
Notons que certains ouvrages fictionnels de notre comte maudit sont effectivement disponibles chez divers éditeurs de poche, comme Garnier-Flammarion et Folio. Le débat intellectuel se serait-il durci depuis un demi-siècle ? Que je sache, les fictions de Drieu La Rochelle n’ont pas disparu du catalogue Folio, de même celles de Céline… L’on débouche donc sur l’éternelle question de la dissociation nécessaire entre l’auteur et l’œuvre (question qui peut se poser aussi pour l’exécution et l’enregistrement d’œuvres musicales de Vincent d’Indy et de Florent Schmitt, antisémites notoires).
pourtant de sensibilité socialiste, souhaitait, dans l’émission Portrait souvenir consacrée à Arthur de Gobineau, théoricien français du racisme moderne, qu’on relût, rééditât la part romanesque de son œuvre, et si besoin était, qu’on le redécouvrît et le réhabilitât comme un écrivain majeur du XIXe siècle ? Qui sait que Roger Vaillant, communiste, préfaça l’édition de poche des Pléiades du même Gobineau ?
Notons que certains ouvrages fictionnels de notre comte maudit sont effectivement disponibles chez divers éditeurs de poche, comme Garnier-Flammarion et Folio. Le débat intellectuel se serait-il durci depuis un demi-siècle ? Que je sache, les fictions de Drieu La Rochelle n’ont pas disparu du catalogue Folio, de même celles de Céline… L’on débouche donc sur l’éternelle question de la dissociation nécessaire entre l’auteur et l’œuvre (question qui peut se poser aussi pour l’exécution et l’enregistrement d’œuvres musicales de Vincent d’Indy et de Florent Schmitt, antisémites notoires).
Pour Gyp, on ne trouve
presque plus rien de disponible hormis chez l’ogre Amazon, malgré une récente
adaptation télévisée du Mariage de
Chiffon (2010) dans le cadre de la collection de téléfilms Contes et nouvelles du XIXe siècle avec
Christa Theret dans le rôle de Corysande dite Chiffon. C’était avant le
bannissement intégral du costume antérieur dans les fictions du service public…
Cependant, une des adaptations les plus connues du Mariage de Chiffon demeure celle de Claude Autan-Lara en pleine Occupation (1942), avec Odette Joyeux dans le rôle titre. Ce film passait pour charmant mais un peu subversif pour l'époque, moins cependant que Douce qui suivit. Quant à L'éducation d'un prince, on pourrait le confondre avec le roman de Maurice Donnay, au titre presque similaire (Education de prince) qui connut diverses fortunes cinématographiques dans les années 1920-1930 : la version de 1938 avec Louis Jouvet et Elvire Popesco étant le plus connue. Robert Lynene, ex Poil de Carotte, faisait aussi partie de la distribution. Le contenu du livre de Gyp, publié en 1890, me demeure quant à lui inconnu.
Gyp alias Sibylle Gabrielle Riqueti de Mirabeau naquit au château de Coëtsal, dans le Morbihan, le 15 août 1849. Elle était l'arrière petite-nièce de Mirabeau. On peut dire qu'elle fut un bas-bleu qui tourna politiquement mal tant son antisémitisme viscéral et sa participation à l'odieux torchon d'Edouard Drumont La Libre Parole l'emportent argumentairement sur toute autre considération et réévaluation de son cas et obèrent toute tentative de redécouverte sereine de son oeuvre, si toutefois l'on peut demeurer serein dans un cas non réhabilitable. L'on pourrait objecter que son féminisme relatif s'explique par les préjugés qu'elle endura enfant. Notre Gyp avait grandi dans un milieu fort phallocrate, une famille qui ne cessa de lui reprocher de n'être pas née garçon. Cela ne l'empêcha pas d'apprendre l'escrime, l'équitation et la danse classique. Etablie à Nancy, son enfance fut encore marquée par les fréquentations légitimistes de son grand-père et de son père.
Elle se maria dès 1867, avec Roger de Martel de Janville, dont elle eut trois enfants. Le couple s'installa à Paris. Après de nouvelle pérégrinations à Nancy, il ne se fixa définitivement qu'en 1879, à Neuilly-sur-Seine. Notre comtesse de Martel était vouée à la vie de salon. Elle commença à écrire en 1877, notamment dans La Revue des deux Mondes, adoptant son nom de plume, Gyp, en 1880.
A compter de cette date, elle multiplia ouvrages et publications dont aucun ne survécut dans la mémoire collective littéraire, à l'exception du susnommé Mariage de Chiffon. Qui se souvient encore de tels titres, qui pourtant rencontrèrent le succès du vivant de l'impétrante ? Citons pêle-mêle :
Cependant, une des adaptations les plus connues du Mariage de Chiffon demeure celle de Claude Autan-Lara en pleine Occupation (1942), avec Odette Joyeux dans le rôle titre. Ce film passait pour charmant mais un peu subversif pour l'époque, moins cependant que Douce qui suivit. Quant à L'éducation d'un prince, on pourrait le confondre avec le roman de Maurice Donnay, au titre presque similaire (Education de prince) qui connut diverses fortunes cinématographiques dans les années 1920-1930 : la version de 1938 avec Louis Jouvet et Elvire Popesco étant le plus connue. Robert Lynene, ex Poil de Carotte, faisait aussi partie de la distribution. Le contenu du livre de Gyp, publié en 1890, me demeure quant à lui inconnu.
Gyp alias Sibylle Gabrielle Riqueti de Mirabeau naquit au château de Coëtsal, dans le Morbihan, le 15 août 1849. Elle était l'arrière petite-nièce de Mirabeau. On peut dire qu'elle fut un bas-bleu qui tourna politiquement mal tant son antisémitisme viscéral et sa participation à l'odieux torchon d'Edouard Drumont La Libre Parole l'emportent argumentairement sur toute autre considération et réévaluation de son cas et obèrent toute tentative de redécouverte sereine de son oeuvre, si toutefois l'on peut demeurer serein dans un cas non réhabilitable. L'on pourrait objecter que son féminisme relatif s'explique par les préjugés qu'elle endura enfant. Notre Gyp avait grandi dans un milieu fort phallocrate, une famille qui ne cessa de lui reprocher de n'être pas née garçon. Cela ne l'empêcha pas d'apprendre l'escrime, l'équitation et la danse classique. Etablie à Nancy, son enfance fut encore marquée par les fréquentations légitimistes de son grand-père et de son père.
Elle se maria dès 1867, avec Roger de Martel de Janville, dont elle eut trois enfants. Le couple s'installa à Paris. Après de nouvelle pérégrinations à Nancy, il ne se fixa définitivement qu'en 1879, à Neuilly-sur-Seine. Notre comtesse de Martel était vouée à la vie de salon. Elle commença à écrire en 1877, notamment dans La Revue des deux Mondes, adoptant son nom de plume, Gyp, en 1880.
A compter de cette date, elle multiplia ouvrages et publications dont aucun ne survécut dans la mémoire collective littéraire, à l'exception du susnommé Mariage de Chiffon. Qui se souvient encore de tels titres, qui pourtant rencontrèrent le succès du vivant de l'impétrante ? Citons pêle-mêle :
Petit Bob, type de l’enfant terrible (1882), les
Chasseurs, Un trio turbulent, Autour du mariage (1883), Ce
que femme veut (1883), Sans voiles (1885), Autour du divorce
(1886), Dans le train (1886), Mademoiselle Loulou (1888), Bob
au salon (1889), l’Éducation d’un prince (1890), Passionette
(1891), Oh ! la grande vie (1891), Une Élection à Tigre-sur-mer
(1890), (roman politique boulangiste), Mariage
civil (1892), Ces bons docteurs (1892) De haut en bas (1893), leurs âmes
(1895), le Cœur d’Ariane (1895), le Bonheur de Ginette (1896), Totote
(1897), lune de miel (1898), Israël (1898), l’Entrevue
(1899), le Pays des champs (1900), Trop de chic (1900), le
Friquet (1901), la Fée (1902), Un Mariage chic (1903), Un
Ménage dernier cri (1903), Maman (1904), le Cœur de Pierrette
(1905), les Flanchards (1917), Souvenirs d’une petite fille
(1927-1928), etc. Le Mariage de Chiffon, quant à lui, parut en 1894. Sans doute Gyp publia-t-elle trop. Il serait vain de tout citer, tant tout cela ne parle plus à nos contemporains. Cependant - nonobstant les idées politiques réactionnaires de Gyp et son antisémitisme outré - permettez-moi de rappeler, lectrices et lecteurs, le nombre élevé d'auteurs du passé considérés comme démodés, illisibles, incompréhensibles. Gyp ne fait pas exception. Ainsi son style, son écriture, les thèmes qu'elle aborde, nous paraîtront inévitablement datés, désuets, très fin-de-siècle au contraire de cette poignée d'écrivains qui ont survécu, transcendent et dépassent leur époque. Gyp a rejoint depuis longtemps l'enfer des bibliothèques, ou le pilon, à moins que quelques bouquinistes attardés quelque part en France ou ailleurs ne proposent quelques uns de ses vieillots échantillons de prose.
Gyp acheva de se damner pour la postérité en collaborant à La Libre Parole d'Edouard Drumont, journal antisémite de caniveau s'il en fut.
L'article de Wikipedia consacré à Gyp lui concède un esprit mordant, de l'humour et un sens du dialogue, faisant de l'auteure l'adepte d'une satire de la "bonne société" dans laquelle elle vivait. Quelques lignes plus loin, nous apprenons que son abondante production romanesque et autre était dictée par des ennuis d'argent : autrement dit, Gyp pondit beaucoup d'écrits purement alimentaires, comme Lamartine. De plus, elle tenait salon. Tenir salon mondain signifie devoir tenir son rang d'aristocrate bas-bleus sans déroger ni déchoir.
Gyp acheva de se damner pour la postérité en collaborant à La Libre Parole d'Edouard Drumont, journal antisémite de caniveau s'il en fut.
L'article de Wikipedia consacré à Gyp lui concède un esprit mordant, de l'humour et un sens du dialogue, faisant de l'auteure l'adepte d'une satire de la "bonne société" dans laquelle elle vivait. Quelques lignes plus loin, nous apprenons que son abondante production romanesque et autre était dictée par des ennuis d'argent : autrement dit, Gyp pondit beaucoup d'écrits purement alimentaires, comme Lamartine. De plus, elle tenait salon. Tenir salon mondain signifie devoir tenir son rang d'aristocrate bas-bleus sans déroger ni déchoir.
Le salon de Gyp fut des
mieux fréquentés. Peut-être l’humour supposé contenu dans les titres mêmes de
certains de ses romans, qui frôlent la gouaille, voire l’impertinence,
prodiguait-il à ces personnes de la Haute
l’impression de la transgression, de l’encanaillement ? Une écrivaine
capable d’intituler des bouquins (en majorité publiés aux éditions Juven,
Calmann-Lévy, Fayard et Flammarion) Jacquette et Zouzou, Cloclo, Les Izolâtres, Sportmanomanie, Journal
d’un casserolé, Le Cricri, Napoléonette, ou encore Les
Flanchards était une comique née, une Madame Sans-Gêne qui s’ignorait, à
l’inventivité sans borne, pas si éloignée au fond de la verve populaire d’un
Charles-Louis Philippe (1874-1909)
qui nous légua Bubu de Montparnasse,
Croquignole et Le Père Perdrix. Mais tout ceci demeure sans doute
trompeur, artificiel et superficiel, et Madame Riquetti de Mirabeau, ci-devant
comtesse de Martel, fut davantage un précurseur du populisme d’extrême-droite,
une égérie de l’antisémitisme et des antidreyfusards, qu’une ralliée à la cause
prolétaire. De fait, nous dit l’article de Wikipedia, ses romans sont faiblards
au niveau de l’intrigue et manquent singulièrement d’action (qualité supposée
cependant : Gyp ne sombre pas dans le mélo larmoyant…). Wikipedia
précise : « La dernière des Mirabeau recevait tous les dimanches à
partir de midi jusqu'au dîner chez elle à Neuilly. Elle fit de son salon un
lieu très couru de la vie parisienne. » Du beau monde en effet se pressait
chez Madame de Martel, y compris juif (Marcel Proust) et dreyfusard (Anatole France),
à moins que ces deux personnalités incontournables de l’histoire des lettres
françaises ne mangeassent à tous les râteliers et fussent opportunistes. Ajoutons
Robert de Montesquiou
(le véritable Charlus de La Recherche, c’est sans doute lui !), Paul Valéry (poète qui
passa sa vie à s’ennuyer…)
et, majoritaires en ce lieu mondain, les
antidreyfusards notoires comme Edgar Degas (hé oui !), Maurice Barrès,
Jean-Louis Forain et Alphonse Daudet, qui mourut dès 1897,
bien antérieurement
la fin de L’Affaire. Gyp fut-elle une
peste, une chipie comique aux idées bien laides ? Malheureusement, je ne dispose d'aucun extrait de son oeuvre afin d'étayer mon texte de citations de Madame... J'espère qu'il n'en sera pas de même pour Germaine Acremant, que j'évoquerai dans un de mes prochains articles de cette rubrique.
Le rachat du château de Mirabeau et
les travaux de restauration qu’elle y entreprit achevèrent de la ruiner. Elle
revendit la demeure, qu’en toute logique Maurice Barrès acquit à son tour. De
fait, la longue vie de Gyp (elle décéda à 82 ans, le 29 juin 1932), ne prévint
aucunement son oubli, sans doute commencé de son vivant même. Peut-être avait-elle
gardé, comme Guy Mazeline, usurpateur du
Goncourt 1932, une coterie de lecteurs fidèles (pourrais-je savoir si le
lectorat de Madame était majoritairement féminin ?) ? En vérité, son
monde, son univers, celui de La Recherche
(y apparaît-elle sous un nom codé ?) était mort bien avant, en août
1914…
Prochainement : un article
sera consacré au Musée national de la Renaissance du château d’Ecouen,
institution des moins médiatisées et injustement délaissée par notre ultra
contemporanéisme ambiant.
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