Il peut exister des vérités fictives (le Nouveau Victor Hugo).
L'air
Est habité de fleuves
Qu'on ne voit pas.
(Guillevic : Elle in : Possibles futurs Poésie Gallimard)
Comment réécrire à la manière de Guillevic (1907-1997) le chapitre CCLXI du Vicomte de Bragelonne d'Alexandre Dumas : Le Testament de Porthos ? Je me suis jeté dans ce pastiche créatif que je vous livre aujourd'hui.
Le deuil à Pierrefonds.
Cours désertes,
Ecuries fermées,
Parterres négligés.
Bassins vides.
Les graves personnages
Accourent
De toute part.
Les voisins de Porthos.
De Porthos mort.
Entrent tous au château
En silence.
Mousqueton
Les reçoit.
En deux jours
Mousqueton a bien maigri.
L’on voit ses habits
Remuer en lui.
Des ruisseaux argentés de larmes
Sillonnent ses joues
Sa figure.
Chaque visite nouvelle
Additionne en lui
Les larmes
Les sanglots
Qu’il veut prévenir
De sa grosse main.
Tous veulent assister
A la lecture du testament
De Porthos,
Convoitises.
La grand-salle est fermée.
Le procureur de Porthos,
Déploie le parchemin
Des volontés suprêmes
Du géant.
Le cachet rompu,
Les lunettes mises,
La toux.
Les oreilles tendues
Pour entendre mieux.
Mousqueton ne veut pas entendre mieux.
La porte à deux battants
S’ouvre. Prodige.
C’est d’Artagnan
Sa figure mâle.
Mousqueton le reconnaît.
Il vient embrasser ses genoux.
Il suffoque.
D’Artagnan le relève
Salue l’assemblée
Noblement.
L’assemblée qui l’a reconnu.
La lecture du testament commence.
Par le procureur
Lui aussi ému.
Profession de foi de Porthos
Pardon aux ennemis.
Il en suppute le nombre
Mais se refuse à détailler
Enumérer tous les torts
Qu’il leur causa.
Les biens les possessions
Les propriétés. Les biens-fonds
Les écuries, les meutes
Sont listés.
Enumérations inutiles ici !
Brave Porthos !
Il est alors question
De l’évêque de Vannes.
D’Artagnan frissonne au souvenir de ce nom.
Lugubre entre tous.
Le procureur continue.
Mousqueton de douleur s’abîme.
On tousse
On reprend haleine à l’énumération.
Poursuit donc le procureur !
Ici, un bruit aigu.
C’est l’épée de d’Artagnan.
Elle tombe
Sur le plancher sonore.
Ceci n’est pas
Un jeu de mots sur le nom
De Planchet.
Porthos laisse ses biens
Au vicomte de la Fère.
D’Artagnan pourra recevoir
Du vicomte de Bragelonne
Les biens qu’il lui demandera.
Long murmure.
Silence interrompu.
L’œil de d’Artagnan suffit à son rétablissement.
Tout ce qui est à la charge du
Vicomte de Bragelonne est énoncé.
Enfin des quarante-sept habits du mort
Mousqueton devient l’hoir.
Mousqueton est légué à Bragelonne.
Est-il donc un objet ?
Un bien meuble ?
Le Code civil
N’existe pas sous Louis XIV.
Mousqueton convulsif
Mousqueton pâle
Mousqueton chagriné.
Mousqueton trébuche
Hésite
S’absente.
Disparaît à l’étage.
D’Artagnan veut le conduire illico chez Athos.
Ne peut le faire.
Il demeure seul après
Les salutations cérémonieuses d’usage
En ces temps révolus.
Et d’Artagnan d’admirer
La profonde sagesse du testateur.
Porthos désirait
Que Bragelonne donnât à d’Artagnan
Tout ce qu’il demanderait.
Mais le mousquetaire
Ne demanderait rien !
Une pension fut laissée à Aramis.
« Porthos était un cœur »
Songe d’Artagnan
En soupirant.
Un gémissement au plafond.
Il l’entend.
Monte à l’étage empressé.
C’était ce pauvre Mousqueton.
Des étoffes.
Des étoffes par tas.
Sur lesquelles
Mousqueton s’était vautré.
Lui-même les avait rassemblées, entassées.
C’était son lot, son dû.
Elles lui revenaient bien !
C’étaient les habits de Porthos.
Et la main de Mousqueton
De s’étendre sur ces reliques
Vénérables
De son corps les couvrant.
Mousqueton ne bougeait plus.
« Il est évanoui ! Mon Dieu ! »
S’exclame le mousquetaire.
Il s’approche afin
De consoler le pauvre garçon.
Las ! D’Artagnan se trompe !
Mort est Mousqueton !
Mort donc tel le chien
Qui, sur l’habit
De son maître disparu
(et quelquefois sur son tombeau)
S’en vient rendre le dernier soupir
Du commensal canin.