Par Michel Antoni.
Né à Port-au-Prince (Haïti) en 1956, Lyonel Trouillot est un romancier et poète haïtien d'expression créole et française. Il est également journaliste et professeur de littérature française et créole à Port-au-Prince.
Issu d’une famille d’intellectuels, sa
passion pour la littérature le pousse, après des études de droit, vers une
carrière d'écrivain. A partir de 1998 et Rue
des pas-perdus, son troisième roman publié chez Actes-Sud, il commence à
obtenir une notoriété internationale.
Tout l’art de conteur de Lyonel Trouillot
est d’aborder le registre de l'intime et du sentiment tout en affirmant son
engagement social et sa dénonciation de la déliquescence de la vie politique haïtienne
dans un style chatoyant empli d’arabesques envoutantes pour mieux nous saisir,
et avec une prose luxuriante, colorée, séduisante, pour mieux nous faire
advenir aux douleurs et jusqu’aux horreurs de l’existence, à Haïti comme
ailleurs.
Ne m’appelle Pas Capitaine, paru en 2018, est son quinzième roman. Un roman d’apprentissage et d’initiation qui brise les barrières des classes sociales et interroge sur l’altérité à travers la rencontre d’Aude, une jeune femme issue d’un milieu aisé et le Capitaine, un vieil homme solitaire, bougon et brisé.
De ces deux voix qui se croisent dans un
schéma littéraire habituel dans l’œuvre de Trouillot, émerge une leçon
universelle, qui, bien qu’ancrée dans la vie de la capitale haïtienne si
caricaturale dans son organisation sociale et la malédiction qui la poursuit,
nous interroge tous. Qui es-tu ? Qui est l’autre dans notre
relation ? Quelle est sa place dans une histoire que l’on voudrait
commune ?
Une belle et simple histoire à méditer qui permet de découvrir l’œuvre de Lyonel Trouillot et la littérature haïtienne.
Je ne t’enverrai pas de poème, mon ami.
Que te dirais-je
Sinon que la nuit est la même sur Port-au-Prince et
Saint-Malo
Seule change la couleur de l’eau.
Que te dirais-je
Sinon que les garde-côtes américains ont encore repêché des
Haïtiens
Au large de la Floride
Pas loin des requins.
Que te dirais-je sinon que nos vies sont tristes
Comme celle des vieux couples qui font chambre à part.
Quand je sors
Je vois des hommes qui marchent vers le dehors des choses,
Pourtant ils savent que ce n’est jamais le pain
Ni la paix
Qui les attendent au bout de la rue.
Quand je m’arrête,
Je vois cet homme à bout de course qui regarde la mort du
dedans
Mais l’arbre est trop sec pour le poids d’un pendu
Ou trop triste
Ou trop vieux,
Et pourquoi l’homme demanderait-il à l’arbre de signer sa
défaite ?
Tous les matins
Je vois cette femme sans jouissance ni espérance
Les bras ouverts
Tous les matins, elle blesse ses genoux sur les marches
d’une église.
Je ne t’enverrai pas de poème, mon ami.
Comment dire la présence de la mort dans la vie ?
Longtemps j’avais gardé un morceau de lune dans ma poche
Pour sérénades et ritournelles
Et puis beaucoup de mort sont passés dans ma vie
Je ne sais lequel de mes morts a emporté mon bout de lune
J’ai donné en cadeau mon désir de poèmes
A ceux que j’ai aimés et qui ne sont plus.
Tout ce que je puis t’offrir
De l’autre côté de la mer
C’est un silence qui fait naufrage.
Il fait un temps de poème. Volume 2
Textes rassemblés et présentés par Yvon Le Men
Filigranes Editions, 22140 Trézélan, 2013
Prochainement : deuxième fournée annoncée de citations de Sénèque.