Qu'il n'y a point de désespoir, où l'amour ne soit capable de jeter un homme bien amoureux (Madame de Villedieu).
Givry était de la maison d'Anglure et avant que les factions qui pensèrent ruiner la France l'eussent divisée, le même duc de Guise dont j'ai parlé dans le premier de mes exemples et le marquis d'Anglure, père de Givry, étaient intimes amis (Madame de Villedieu : Histoire de Givry. Incipit de la nouvelle).
Dans l'histoire de la littérature romanesque du XVIIe siècle due à des plumes féminines, il n'y eut pas que La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette (1633-1693). De Marie-Catherine Desjardins, dite Madame de Villedieu, je n'ai lu qu'une unique nouvelle, dont je cite le commencement : Histoire de Givry. Sans l'existence d'un remarquable recueil de nouvelles du XVIIe siècle publiée en Folio classique, Dom Carlos et autres nouvelles françaises du XVIIe siècle, je n'aurais rien connu de l'existence de cette écrivaine contemporaine de Louis XIV.
Elle naquit vers 1640, à Alençon ou La Rochelle. Il est difficile d'être davantage précis. Il y a hélas peu à dire sur Madame de Villedieu, sans doute victime de la domination des écrivains mâles de son temps.
Elle était issue de la petite noblesse terrienne, et ses parents se séparèrent alors qu'elle était encore très jeune, ce qui lui a permis d'acquérir une indépendance très rare pour les femmes du XVIIe siècle. Elle s'est retrouvée dans le Paris d'après la Fronde, et son esprit brillant, bien qu'elle fût laide et bénéficiât une fortune médiocre, lui permit d'attirer l'attention des cercles cultivés. Elle commença à écrire des poésies et des portraits, acquérant ainsi des protections précieuses : la Grande Mademoiselle, Marie de Nemours, le duc de Saint-Aignan et Hugues de Lionne.
Ce fut alors qu'elle fit la rencontre capitale d'Antoine II de Boësset, fils d'Antoine de Boësset, sire de Villedieu et surintendant de la musique de la Chambre. Elle vécut avec lui une relation passionnée, tumultueuse, malgré une promesse de mariage, jusqu'à la rupture en 1667. L'amant meurt la même année, au siège de Lille. Leur correspondance est publiée sans son consentement.
Parallèlement, notre autrice se tourna vers la scène, avec, en 1662, la tragi-comédie Manlius qui fut montée avec la troupe de l'hôtel de Bourgogne. Suivit la tragédie Nitétis (1663), puis encore une tragi-comédie Le Favori, datée de 1665, qui fut tout de même donnée à Versailles et bénéficia même d'un prologue écrit par Molière à l'occasion de cette représentation versaillaise. On me dira qu'il n'y a rien là d'extraordinaire, que l'écrivaine ne pouvait qu'imiter des modèles comme Corneille ou Rotrou. Mais qui lit encore Rotrou de nos jours ?
Cependant, malgré un certain succès, Madame de Villedieu abandonna le théâtre au profit d'une production romanesque redécouverte récemment. Pressée par des difficultés financières, elle se fit novatrice, en inventant le genre du roman-mémoires avec les Mémoires de la vie de Henriette-Sylvie de Molière, publiés entre 1672 et 1674.
En 1675, après la parution des Désordres de l'amour, Madame de Villedieu se retira de la scène littéraire. Un mariage tardif en 1677 avec Claude-Nicolas de Chaste, sieur de Chalon et chevalier, suivi d'un veuvage seulement deux ans plus tard, avec une maternité tardive - à 38 ans - dans l'intervalle : telle fut la fin d'existence morne de Madame de Villedieu, qui mourut en 1683 dans sa demeure familiale de Clinchemore, auprès de sa mère et de ses frère et soeur. Ceci n'empêcha pas la publication posthume par Claude Babin, en 1685 et 1687, du Portrait des faiblesses humaines et des Annales galantes de Grèce. Ironie de l'histoire : on attribua à Madame de Villedieu, prétextant son succès, des oeuvres qui n'étaient nullement de sa plume !
Voltaire émit sur elle ce jugement que j'estime positif, si l'on songe à la longueur démesurée des ouvrages de Madeleine de Scudéry : " Elle a fait perdre le goût des longs romans."
Prochainement : hommage à REMAB et REMCAL.