Par Annie Guillet.
Jon Kalman Stefansson
est né à Reykjavik en 1963,
il
grandit dans la capitale de l'Islande et à Keflavik où se situe le roman. Il
travailla comme maçon, sala, sécha les poissons mais fut aussi enseignant, bibliothécaire,
journaliste.
Poète et romancier, sa trilogie - Entre ciel et terre (2007), La tristesse des Anges (2009) et Le cœur de l'homme - (2011) lui apporte une renommée
internationale.
En France, son roman D'ailleurs, les poissons n'ont pas de
pieds (2013) obtient le prix Millepages et son dernier roman Ton absence n'est que ténèbres (2022)
le prix du livre étranger.
La première raison de se plonger dans ce roman est qu'il nous transporte en Islande, cette « terre âpre » au froid glacial, aux paysages volcaniques grandioses, aux montagnes colériques, aux vents impitoyables et où la mer omniprésente est synonyme de vie et de danger. C'est en poète qu'il nous peint la rudesse et la beauté sauvage de son pays.
Mais le roman est d'abord l'oeuvre d'un formidable conteur.
Ari, éditeur exilé au Danemark depuis deux ans après un divorce douloureux,
revient à Keflavik, un ancien port de pêche, pour son père qui est au plus mal.
Son ami l'attend. Remontent alors les souvenirs liés à sa rupture, à sa
jeunesse, à ses grands parents.
Par les allers retours entre aujourd'hui, l'époque de ses parents (années
70-80) et celle de ses grands parents (début du 20ème), c'est l'histoire de
l'Islande qui nous est contée celle de ses transformations. De celle des marins
d'autrefois à la vie rude mais exaltante à celle de maintenant peut être plus
facile mais plus complexe, plus terne. L'Islande a subi les effets de
l'américanisation et de la mondialisation.
Si ce roman nous permet d'assister à l'évolution du pays,
c'est aussi une histoire de l'intime : histoires d'amours fous, de séparations,
de joies et de douleurs. Ses personnages sont des êtres complexes, des hommes
et des femmes qui cherchent à mieux se connaître.
Il les peint avec tendresse,
sensibilité, tout particulièrement les femmes dont il soutient les luttes dans
ce dur univers d'hommes. Ari et le narrateur s'interrogent sur le rôle de la
mémoire, l'importance des souvenirs pour tenter de mieux comprendre ce qu'il
est vraiment, ce que nous sommes, pour tenter de donner un sens à sa vie, à la
vie.
En cela sa réflexion est universelle.
C'est un roman qu'il faut lire sans se presser, lire
quelques pages et le reposer pour en savourer les beautés, pour avoir le temps
d'y penser. La langue de Stefansson traduite magnifiquement par Eric Bory, est
somptueuse, tantôt poème, tantôt analyse, toujours vivante et imagée avec des
éclairs d'humour qui viennent alléger le constat trop lucide de l'absurdité des
réactions humaines, de la brièveté de la vie.
Et pourtant et c’est la conclusion du livre, qu'il est délicieux
d'exister!
Annie Guillet
Prochainement : un sosie oublié du général de Gaulle.