L'homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux. (Alphonse de Lamartine : L'Homme in Méditations poétiques)
Voilà une belle redécouverte ! Une jeune fille morte à quinze ans dont j'ignorais encore le nom jusqu'à ce recueil inopiné consacré aux Poétesses oubliées disponible aux éditions Charleston, livre déniché au hasard d'un butinement dans une FNAC !
Née à Villeneuve-sur-Lot le 23 février 1913, Sabine Sicaud disparut le 12 juillet 1928 dans la même commune, après une célébrité météoritique. Un destin tragique, qui cependant n'empêcha pas la création d'une oeuvre méritant de survivre. Durant cette si courte vie d'à peine quinze années, Sabine Sicaud eut le temps de publier un recueil majeur, Poèmes d'enfant, aux Cahiers de France, à Poitiers, en 1926. Des vers dont la maturité séduisit tant Anna de Noailles que celle-ci préfaça le recueil !
Dès l'âge de onze ans, notre précoce autrice avait remporté son premier prix littéraire. Il s'agissait du second prix remporté au Jasmin d'Argent pour le poème Le petit Cèpe. Le Jasmin d'Argent est une association littéraire fondée en 1920 par l'avocat Jacques Amblard (1884-1954). Cette association se destine à découvrir les jeunes talents. La précocité de Sabine Sicaud ne se démentit point, puisqu'elle rafla pas moins de quatre récompenses en 1925, dont le Grand Prix des Jeux floraux de France, pour un poème composé dès l'âge de neuf ans : Matin d'automne. Sabine Sicaud collabora à deux revues importantes : L'Oiseau bleu et Abeilles et Pensées.
Lors vint la tragédie : elle se blessa au pied à l'été 1927. La blessure muta en ostéomyélite. Jamais on ne sut quel traumatisme était à l'origine de cet envenimement. La gangrène des os gagna tout le corps, la paralysant, et Sabine Sicaud, qui avait refusé d'être soignée à Bordeaux, demeura en la demeure de ses parents, La Solitude, qu'elle chérissait. Elle mourut après une année de souffrances indicibles.
Le raffinement de l'écriture de Sabine Sicaud, son style à la fois mature, inspiré, qui reflète une grande culture, ne sont pas pour rien dans la séduction que son oeuvre a exercé sur ses contemporaines comme Anna de Noailles. Prenons un extrait de Diego :
Son nom est de là-bas, comme sa race.
L’œil vif, le pas dansant, les cheveux noirs,
C’est un petit cheval des sierras, qui, le soir,
Longtemps, regarde vers le sud, humant l’espace.
Il livre toute sa crinière au vent qui passe
Et, près de son oreille, on cherche le pompon
D’un œillet rouge. Sur son front,
Ses poils frisent, pareils à de la laine.
Rien en lui de ces chevaux minces qui s’entraînent
Le long d’un champ jalonné de poteaux ;
Ni rien du lourd cheval né dans les plaines,
Ces plaines grasses et luisantes de canaux
Où des chalands s’en vont avec un bruit de chaînes.
Il ignore le turf, et les charrois et les labours,
Celui dont le pied sûr comme celui des chèvres,
Suivit là-haut les sentiers bleus, dans les genièvres.
(…)
Autre poème, autre extrait :
Ne regarde pas si loin, Vassili, tu me fais peur.
N’est-il pas assez grand le cirque des steppes ?
Le ciel s’ajuste au bord.
Ne laisse pas ton âme s’échapper au-delà comme un cheval sauvage.
Tu vois comme je suis perdue dans l’herbe.
J’ai besoin que tu me regardes, Vassili.
(Ne regarde pas si loin, Vassili).
Troisième poème :
Ah! Laissez-moi crier, crier, crier …
Crier à m’arracher la gorge !
Crier comme une bête qu’on égorge,
Comme le fer martyrisé dans une forge,
Comme l’arbre mordu par les dents de la scie,
Comme un carreau sous le ciseau du vitrier…
Grincer, hurler, râler ! Peu me soucie
Que les gens s’en effarent. J’ai besoin
De crier jusqu’au bout de ce qu’on peut crier.
(...)
(Laissez-moi crier).
Avec la maladie et la souffrance, la poésie de Sabine Sicaud prend des accents plus dramatiques, pathétiques, avec la prise de conscience de l'approche de la mort, et celle de ce que l'on ne qualifiait pas encore d'"acharnement thérapeutique" :
Aux médecins qui viennent me voir :
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ces poisons de fakir, vert et or...
Ainsi furent les vers de ses derniers mois, hélas :
Vous parler ? / Non, Je ne peux pas./ Je préfère souffrir comme une plante. / Comme l’oiseau qui ne dit rien sur le tilleul. Ils attendent. Il y perce parfois l’écoute d’une fraîcheur intérieure Ce que je veux ? Une carafe d’eau glacée. / Rien de plus. Nuit et jour, cette eau, dans ma pensée / Ruisselle doucement comme d’une fontaine. ou des souhaits de guérison : Filliou, quand je serai guérie, / Je ne veux voir que des choses très belles…
D'évidence, la poésie de Sabine Sicaud mérite de survivre, d'échapper à ce purgatoire dans lequel on a enfermé trop d'écrivaines et d'écrivains, ceci injustement ! Pas seulement du fait d'un étiquetage de poétesse maudite et surdouée, au décès tragique, prématuré ! Anna de Noailles, qui avait détecté son génie, ne sort-elle pas depuis quelques années de ce même purgatoire, de cet exil injuste en l'archipel de l'Oubli ?
Prochainement : Micheline Presle : un centenaire négligé.