Olga TOKARCZUK
Par Dominique Jules
Née en 1962, Olga Tokarczuk est une romancière et essayiste polonaise, aux origines ukrainiennes, lauréate du Prix Nobel de littérature 2018 (décerné en 2019). Cette distinction s’ajoute à un palmarès déjà impressionnant qui englobe « Niké », le plus prestigieux prix littéraire polonais, qui lui fut décerné en 2008 pour Les Pérégrins, livre composé d’une centaine de fragments sur le voyage et l’itinérance, et à nouveau en 2015 pour Les Livres de Jakób. Fruit de dix ans de recherche, cet ouvrage de près de mille pages raconte l'histoire de Jakób Frank, qui a réellement existé. Ce chef religieux du XVIIIe siècle, fondateur d’une secte hérétique, amena ses disciples à deux conversions, à l'Islam puis au catholicisme. Bien qu’obtenant un large succès en Pologne, l’ouvrage fut l’objet de vives attaques de la part des milieux nationalistes. Olga Tokarczuk a même reçu des menaces de mort après un entretien à la télévision publique où elle dénonça le mythe d’une Pologne tolérante et ouverte.
Le
prestigieux Man Booker International Prize lui fut attribué en 2018.
Psychologue de formation, elle s’est
essayé à l’écriture dès son adolescence. Elle publia d’abord un recueil de
poésie avant de se tourner vers la prose : Voyage des gens du Livre
(1993), sorte de parabole moderne, raconte la quête ratée d'un Livre mystérieux
et le grand amour que vivent les deux personnages principaux. De forme un peu
naïve, le roman, bien accueilli par la critique, aborde déjà les thèmes qu’Olga
Tokarczuk développera dans ses œuvres ultérieures : le mystère, le mythe,
l’irrationnel, le voyage.
Elle se consacre pleinement à l'écriture depuis 1997, après son premier véritable succès, Dieu, le temps, les hommes et les anges (1996).
Elle
possède aussi un talent pour la nouvelle. Maison de jour, maison de nuit
(1998), petit recueil contenant trois récits courts en est la démonstration,
confirmée en 2001 par la publication de Jouer sur plusieurs tambours. En
2004, elle a été l'instigatrice d’un festival de la nouvelle, publiant la même
année un nouveau recueil, Récits ultimes. Plus récemment, elle a livré Histoires bizarroïdes (2010).
Olga
Tokarczuk est une femme engagée. Elle n’hésite pas à exprimer ses positions
critiques sur la Pologne actuelle, mais aussi sur la construction du mur entre
les États-Unis et le Mexique. Féministe, écologiste, végétarienne, elle
s’implique dans la défense des droits des femmes, des animaux, des minorités
sexuelles et ethniques. Sur les
ossements des morts
(2010) en est la manifestation artistique.
Café littéraire du 31 mars 2022
Olga TOKARCZUK. Sur les ossements des morts. 2010
Présentation par Dominique Jules.
Une Polonaise parle de la Pologne. Sans aménité. L’image qu’elle
donne des Sudètes, contrée austère proche de la Tchéquie, et de ses habitants
pittoresques, excentriques ou corrompus n’est pas de nature à promouvoir le
tourisme dans ce pays peu connu des Européens de l’ouest.
Une Polonaise, Prix Nobel de
littérature 2018, livre un roman aussi troublant que sa narratrice et
protagoniste. L’une et l’autre sont enveloppés de mystère, d’ambiguïté. Ils surprennent le lecteur par un mélange d’éléments qui oscillent du
vraisemblable au douteux, du sensible au rationnel, du sentiment à la logique,
du sincère à l’hypocrite, du vertueux à l’amoral.
Une romancière polonaise, Olga Tokarczuk, propose un voyage dans une
contrée sauvage, d’un hiver à l’hiver suivant. Elle fait patauger son lecteur
dans la neige et dans la boue, dans un climat romanesque troublant, à la limite
du fantastique, où chaque personnage semble plus extravagant que l’autre.
La romancière polonaise prête sa plume à une femme étrange,
déconcertante, qui prend fait et cause pour les animaux jusqu’à leur construire
un cimetière et recueillir leurs restes avec l’espoir de les cloner un jour,
lorsque la science le permettra.
La romancière polonaise échafaude une intrigue à énigmes, balisée de
cadavres qui laissent peu de regrets aux vivants. Est-ce une vengeance des
animaux, comme le prétend celle que beaucoup tiennent pour folle ?
La romancière polonaise, habile tacticienne, égare son lecteur dans
un dédale forestier et policier. Et le lecteur prend plaisir à être ainsi
manipulé, déconcerté, ballotté de Charybde en Scylla s’il lui prend l’idée de
mener lui aussi l’enquête.
La romancière polonaise dépeint une galerie de personnages qui ne
peuvent aucunement prétendre au statut de héros, pas même d’antihéros. Tout
juste des écorchés de la vie pour la plupart, en quête d’une once de bonheur.
Ou des corrompus si la réussite sociale et matérielle vient en gratification.
Mais bien mal acquis profite peu.
La romancière polonaise s’amuse, laissant sa protagoniste alléguer
que l’astrologie est une science exacte, prodigieuse, en mesure de nous fournir
la date de notre propre mort et apte à justifier autant de cadavres dans ce
coin de Pologne certes sauvage mais jusque là tranquille.
Elle égratigne au passage bien des manies, des travers, des
prétentions.
Sur les ossements des mort est un titre inattendu, calqué sur un vers du poète anglais William Blake, dont d’autres citations ouvrent chaque chapitre et dont l’univers visionnaire n’est pas sans rapport avec l’atmosphère du roman.
Prochainement : reprise de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus (épisode 38) : Joyce Mansour.