mardi 26 octobre 2021

Ces écrivains dont la France ne veut plus 37 : André Chevrillon.

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J'écris parce que je comprends, et je souffre de tout ce qui est parce que je le connais trop (Guy de Maupassant).

L'argent n'a pas d'odeur (Vespasien).

Tout ce qui brille n'est pas or (proverbe).

Entre tous mes aînés, Quai Conti, il n’en était aucun qui m’inspirât plus de respect que ce neveu de Taine. Je ne crois pas le lui avoir jamais manifesté ; il paraissait comme isolé par la grande vieillesse : l’esprit jeune et vivant de Prométhée était lié à un corps en ruine. Mais sa tristesse devait avoir d’autres sources : le monde qu’il avait décrit dans ses livres ne ressemblait plus à l’image qu’il en avait donnée. Il était l’historien et le témoin d’un empire qui se défaisait sous ses yeux. Les cartes qui avaient servi à ce voyageur n’eussent plus servi à personne (François Mauriac : Bloc-notes, au sujet d'André Chevrillon).

Après avoir consacré divers articles à des littérateurs dits "de genre" (science-fiction, roman-feuilleton, espionnage, fantastique etc.) force est de reconnaître qu'il manquait une pièce à mes "trophées" de chasse : la littérature de voyage, tant décriée de nos jours car considérée comme subjective, dépeignant davantage la mentalité occidentale de l'auteur que celle des contrées "exotiques" qu'il traverse. Ce regard lointain, distant, dévoyé, perverti, daté, François Mauriac l'avait bien saisi au sujet d'André Chevrillon, qu'il appréciait tout en le sachant déjà condamné à l'oubli, non pas seulement du fait du grand âge qu'il avait atteint lorsqu'il mourut, mais parce que le monde qu'il avait parcouru et décrit de sa plume était devenu obsolète. 

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C'est un fait entendu, presque un truisme : très peu d'académiciens accèdent à l'immortalité littéraire. Je confesse avoir évacué André Chevrillon de ma pensée jusqu'à ce que Pierre Saintyves (1870-1935), dans une étude consacrée aux reliques bouddhistes, me rappelât l'existence de ce voyageur passionné, par le biais d'une longue citation :

Dans l’oratoire bouddhique ainsi que dans le chrétien, tout était clos, secret, mais plein de rayons, comme un cœur, plein d’une vie tendre et chaude qui affluait du dedans et se concentrait là, sur elle-même, avec la senteur des fleurs et des fumées, les lueurs de l’or, la jaune lumière tremblante et pure de toute clarté du jour. Elle aussi, cette petite chambre, était l’un des foyers du vieux mysticisme humain ; celui de l’Asie bouddhique y brûlait ; des âmes d’Indo-Chine et du Japon venaient s’endormir à sa chaleur. 

Fichier:Salle de Prière du Temple bouddhique Linh Son.JPG

Les murs eux-mêmes semblaient dégager de glorieuses effusions : vieux marbre jauni, comme celui qui luit sourdement autour du sépulcre adoré de Jésus, marbre poli, attiédi par l’âge et le contact des mains, des corps, d’aspect mol et comme imprégné de la tendresse des prières, comme pénétré de fluide humain. Enfin, des substances précieuses et douces qui ne servent pas d’ordinaire aux architectures, mariées à ce marbre devenu pareil à de l’ivoire, aidaient à nous envelopper de surnaturel et de sacré. Les hauts rectangles vides, celui qui donnait accès de l’antichambre dans l’oratoire, et celui dont l’ouverture encadrait le sanctuaire, étaient sertis de bandes successives d’or, et d’argent, et de véritable et vieil ivoire, et ces matières ductiles, ciselées en bordures de feuillages, semblaient fondre en se pénétrant ; la légère, la pâle candeur de l’argent fluait imperceptiblement dans la pâleur plus chaude de l’or à demi dédoré, dans la mollesse veinée du tendre ivoire ; les reflets des creux et des reliefs jouaient et se mêlaient ; cela semblait immatériel et sans poids ; on eût dit que, de la tremblante lumière épanchée par les cierges, une onde s’était prise pour toujours aux arêtes des grandes baies rectangulaires, et flottait alentour. Et l’on pensait aux lieux saints de l’ancien Orient, au temple de Salomon, aux naos chryséléphantins, aux légendaires chapelles où l’ivoire et les métaux précieux s’unissaient au santal de l’Inde et de l’Arabie. Ce rideau de soie que les acolytes maintenaient écarté au-dessus du jubé d’argent, c’était le laïmph des mystères phéniciens. Par delà scintillaient le sacraire, les cassettes, la châsse, les plats et les vases d’or, — et tout cet or était ponctué de pierreries : émeraudes, topazes, saphirs, pierres de lune, rubis, brûlant en feux multicolores dans l’ombre, achevant par leurs musiques secrètes de nous ravir à la terre et de nous dissoudre le réel. (André Chevrillon : Sanctuaires et paysages d'Asie. Paris, 1905 p. 44-45).

Style admirable mais daté, ô combien ! 

 Mais qui fut donc ce littérateur-bourlingueur démodé que sut parfaitement dépeindre l'homme à la voix éteinte (ainsi surnommais-je Mauriac), cet académicien (depuis 1920) dont seules quelques rues et avenues perpétuent encore le souvenir terni ? 

Il fut le neveu d'Hippolyte Taine 

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et naquit charentais, à Ruelle-sur-Touvre, dont la fonderie navale, créée en 1753, existe toujours, le 3 mai 1864. Il passa une partie de son enfance en Angleterre, fit ses études secondaires à Paris et obtint une licence d'histoire à la Sorbonne. Il fut major de l'agrégation d'anglais et soutint une thèse de doctorat sur Sydney Smith et la Renaissance des idées libérales en Angleterre au XIXe siècle.

André Chevrillon enseigna à l'Ecole navale et à la faculté des lettres de Lille, avant de se consacrer uniquement à l'écriture à compter de 1894. L'Académie française le remarqua et le prima, bien avant qu'elle l'élût puisqu'il fut récompensé à deux reprises : prix Marcelin Guérin en 1892 puis 1895 et prix Vitet en 1902. A partir de là, les ouvrages consacrés à ses voyages se multiplièrent, qu'il s'agisse de l'Asie (Dans l'Inde, Sanctuaires et paysages d'Asie) au Maroc (Marrakech dans les palmes), le Proche Orient, la Judée et même la Bretagne !

Angliciste passionné, il multiplia les essais consacrés à l'Angleterre, à Ruskin, à la littérature britannique (Kipling, Galsworthy, Shakespeare) qui démontrent son ouverture à la culture d'outre-Manche contemporaine.

L'esprit d'André Chevrillon n'était point obscurci, et c'est à ce propos que son nom eût mérité de survivre, car il dénonça le danger de l'Allemagne nazie dès 1934 (La Menace allemande) et son livre eut maille à partir avec les autorités d'occupation qui le firent interdire dès août 1940. Ce clairvoyant, anglophile, n'eut au fond pas de chance en mourant fort âgé et dès son élection académique de 1920, le monde qu'il avait parcouru et décrit se lézardait de toute part conséquemment au choc de la Grande Guerre. La vision européenne hégémonique du monde en fut définitivement ébranlée, remise en cause.

André CHEVRILLON | Académie française

Adieu, Monsieur Chevrillon ! 

Prochainement : 2021 : on a failli oublier Georges Feydeau ! 

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samedi 16 octobre 2021

Prix Nobel 2021 : un cru presque ignoré de l'info télé à l'exception d'Arte.

 

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Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse (proverbe attesté au XIIIe siècle).

Petite pluie abat grand vent (Jean de La Vipérine, prieur de Clairvaux, XVe siècle).

La parole est d'argent mais le silence est d'or (adage extrait du Talmud).

La saison des prix Nobel 2021 s'est achevée le lundi 11 octobre 2021. Or, la couverture informationnelle de la télévision en matière d'attributions de ces récompense a été plus infime que jamais. Tandis qu'Arte assurait la couverture de tous les Nobel 2021 à l'exception, semble-t-il, de celui d'économie, France 3, par exemple, sauta l'intégralité des attributions sauf celui de la paix ! Quant aux chaînes prétendument d'information, elles se contentèrent de bandeaux défilants ! Le prix Nobel de littérature 2021 apparaît rétrospectivement comme le plus mal couvert par la télé depuis 1996 ! Le bilan laisse donc à désirer.

 

Tour remarquable qu'il fût, Abdulrazak Gurnah, du fait de son manque de notoriété chez nous, n'avait plus la moindre de ses oeuvres disponible en traduction française lorsque son prix lui fut attribué ! Nous avons dû remonter à la polonaise Wislawa Szymborska (1923-2012), nobélisée en 1996, pour trouver une couverture médiatique aussi médiocre. Cette poète bénéficia d'ailleurs du plus bref article nécrologique du Monde réservé à des Nobel de littérature disparus... 

La cuvée des prix Nobel scientifiques 2021, non seulement risque l'absence nécrologique future, mais se caractérise d'abord par le silence médiatique quasi intégral ayant entouré leurs récompenses. Qui se souviendra de David Julius

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 et Ardem Patapoutian (prix Nobel de physiologie ou médecine) ? De Syukoro Manabe,

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 Klaus Hasselmann et Giorgio Parisi

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 (prix Nobel de physique) ? De Benjamin List

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et David MacMilan (prix Nobel de chimie) ? Ou enfin de Guido Imbens, Joshua Angrist et David Card (prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel)

L'on sait d'avance que tous ces noms ou presque tous sont voués aux "dénécrologies" du journal Le Monde, coutumier dans l'omission des décès d'à peu près 99% des lauréats non français des Nobel scientifiques et économiques ! Jamais nous n'avions atteint un tel étiage informationnel en matière d'annonce des attributions de Nobel à la télé depuis le milieu des années 1990 ! Quant aux esprits chagrins, ils souligneront avant toute chose l'absence de femmes dans le cru 2021... Ce fut tout à l'honneur d'Arte (lorsque cette chaîne est bien lunée elle fait un sacré boulot) d'avoir pensé à couvrir correctement les dernières nobélisations.

Pontes de la désinformation, de l'ignorance et de la bêtise, je ne vous salue pas !  

Prochainement : retour de la série consacrée aux écrivains dont la France ne veut plus : André Chevrillon. 

André Chevrillon — Wikipédia