Leonardo da Vinci si, El Greco no.

C'est vrai, ça ! (la mère Denis, star de la publicité en France dans les années 1970).

Prenons deux expositions importantes parisiennes de l'automne 2019, consacrées chacune à des peintres majeurs de l'art ancien renaissant puis "maniériste". La première s'est ouverte au Grand Palais le 16 octobre, la seconde au Louvre le 24 du même mois. La première exposition a eu droit à une couverture médiatique télévisuelle inexistante, d'une inexistence frôlant l'affront culturel grave. La seconde est massivement étalée, commentée, sur le petit écran et a bénéficié de nombre de documentaires plus ou moins inédits, plus ou moins éclairants, plus ou moins passionnants. La première est consacrée à un phare de la peinture du siècle d'or espagnol, la seconde à un autre phare, italien, antérieur d'un siècle au premier. J'ai nommé Domenikos Theotokopoulos, dit Le Greco (1541-1614)

  

et Léonard de Vinci (1452-1519). 

Pourquoi une telle différence de traitement médiatique ? Aucun documentaire n'a été diffusé à la télé sur le Greco et je cherche les reportages des infos sur l'expo du Grand Palais ! Alors que Léonard triomphe partout, Le Greco se retrouve voué à la portion congrue, hormis dans la presse écrite, les périodiques, qui ont fait leur travail. Le seul documentaire monographique consistant consacré à ce maître immense et j'ose l'écrire, révolutionnaire tant son style n'a rien à envier par exemple à un Cézanne, cela, à la fin du XVIe siècle et dans les premières années du XVIIe siècle,doit se contenter d'un streaming temporaire sur le site d'Arte et il date de 2012 : la chaîne n'a pas trouvé utile une diffusion hertzienne de cette émission !
Pourquoi tant d'indifférence au Greco ? Les sujets qu'il peint sont-ils trop religieux, trop austères ou dérangent-ils trop ?

Est-ce plutôt le signe d'une culture antérieure à bout de souffle, agonisante, que nul n'a plus l'envie de transmettre au - permettez-moi ce mot - vulgaire ? Les raisons cachées de cette non couverture télé du Greco m'échappent, à moins qu'elles soient trop évidentes, aussi évidentes qu'un truisme ou une lapalissade.
Entendons-nous bien : je n'affirme pas que Le Greco a été intégralement absent des documentaires télévisés consacrés aux beaux-arts. Cependant, comme dans le cas de Guillaume Apollinaire traité à la marge du cubisme et de la rivalité Braque-Picasso l'an passé, il n'apparaît que de manière supplétive, peintre parmi d'autres peintres. Ainsi est-il question de lui dans une émission tournant autour de la thématique de la nuit en peinture, ou d'une autre dont le propos couvre l'ensemble de la peinture du Siècle d'Or espagnol...
Cependant, Arte, une fois de plus, a profité du magazine 28 minutes pour se rattraper en invitant sur son plateau le commissaire de l'exposition du Grand-Palais, Guillaume Kientz : l'avant-garde du Greco y a été magistralement abordée. Non pas que je dénigre Léonard, bien au contraire : je l'ai toujours admiré, et sa présence peuple plusieurs des romans de SF que ma soeur et moi avons écrit, et ce n'est pas fini !

Espérons que les touristes aient l'intelligence de ne pas bouder et varier leur(s) plaisir(s) en se rendant à l'exposition du Grand-Palais, afin d'un peu désengorger celle où Léonard, superstar, aimante à n'en pas douter les foules vers le Louvre...


Prochainement : reprise de la série consacrée aux peintres dont on ne veut plus avec Maurice Denis.

De la non prépublication de Buck Danny dans "Spirou" depuis 2017.

L'enfer, c'est les autres. (Jean-Paul Sartre)

      

Buck Danny... Une bande dessinée d'aviation devenue un des plus grands classiques de l'école franco-belge. Lancée dans Spirou en 1947 par le scénariste Jean-Michel Charlier et le dessinateur Victor Hubinon avec une première aventure, Les Japs attaquent, Buck Danny, sauf quelques interruptions, fit partie du sommaire de Spirou de 1947 à 2016. Or, soudainement, prétextant l'abondance de bédés d'aviation dans l'hebdomadaire (notamment la remarquable Dent d'ours de Yann et Henriet), voilà que sans crier gare, la direction de Spirou et celle des éditions Dupuis ont décidé de priver les lecteurs de toute prépublication dans le magazine des aventures mythiques de notre trio d'aviateurs héroïques américains (Buck Danny, Sonny Tuckson et Jerry Tumbler). 

Depuis peu, la série venait de bénéficier d'un dédoublement contemporain-rétro. Les ennuis de santé dont fut victime Victor Hubinon à partir de la fin des années soixante entraîna à plusieurs reprises son remplacement au pied levé par d'autres dessinateurs qui se chargèrent de réaliser les planches non dessinées. Par exemple, L'escadrille de la mort, parue en 1968 dans Spirou fut partiellement dessinée par Claude Pascal (1931-1993) le temps d'une dizaine de planches. Claude Pascal avait débuté dans Vaillant avec la série Louk avant de devenir un pilier des "Oncle Paul" d'Octave Joly dans les années 1970. Il en fut de même pour Le Pilote au masque de cuir daté de 1970 : ce fut cette fois Daniel Chauvin (1939-1995) qui se chargea de la tâche.
Victor Hubinon mort prématurément le 8 janvier 1979, une période de flottement s'ensuivit, avant que Francis Bergèse - lui même pilote - acceptât de reprendre Buck Danny.
 
 Cependant, Spirou n'en bénéficia pas dans l'immédiat, puisque les premiers épisodes dus au crayon de Bergèse parurent  directement en albums aux éditions Novedi qui émanaient d'Hachette. Après qu'Hachette eut racheté Dupuis avec Albert Frère en 1985 et que les éditions Novedi eurent disparu, Buck Danny réintégra enfin le giron de Dupuis avec Les Agresseurs en 1988.Il fallut cependant attendre la fin de l'année 1993 pour que la série retrouvât droit de cité au sein des pages de Spirou avec Les Secrets de la Mer Noire. Dans l'intervalle, Jean-Michel Charlier était mort, en 1989. "Un de nos pilotes n'est pas rentré", titra le numéro 2677 de Spirou, paru au début du mois d'août.
Après le décès de Charlier, Francis Bergèse poursuivit vaille que vaille en solo (dessin et scénario), à l'exception d'une seule aventure, la série Buck Danny jusqu'en 2008. Son graphisme a surpassé celui du maître Victor Hubinon.
 Après un nouveau passage à vide, cette bédé phare finit par être reprise par deux tandems : Gil Formosa (dessin) et Frédéric Zumbiehl (scénario) pour le Buck Danny contemporain et Jean-Michel Arroyo (dessin) avec toujours Frédéric Zumbiehl pour le texte pour "Buck Danny Classic". Avec le dessinateur Frédéric Marniquet, le duo du Buck Danny rétro est devenu trio.
 
Tout se passe bien jusqu'en 2016 inclus lorsque, brusquement, les éditions Dupuis prennent une série de décisions regrettables consistant à ne plus prépublier certaines bandes dans Spirou à partir de 2017. Si, à l'origine, cette politique impactait des séries qui n'appartenaient pas au label Dupuis (Aria, Ernest et Rebecca), le système finit par dériver au détriment de bandes soit désormais considérées comme trop adultes (le Choc d'Eric Maltaite), soit sans la moindre explication claire (Mélusine, Magic Seven et désormais Louca).
Concernant Buck Danny, l'explication fournie est proprement ridicule : Spirou a été jugé comme proposant trop de séries d'aviation, dont le remarquable Dent d'ours. Or, Dent d'ours s'est achevé en 2018 sans que Buck Danny revienne au bercail ! Cette situation ubuesque, qui impose des choix d'achat drastiques (comment trancher entre une série de bédé que l'on suit depuis l'enfance et la littérature proprement dite lorsqu'on a un budget livres mensuel à gérer ?) n'a que trop duré et il serait temps que les éditions Dupuis reviennent sur leur décision, qui risque, à terme d'appauvrir le contenu de Spirou lui-même !

Prochainement : Leonardo da Vinci si, El Greco no.