Chapitre 31
Terre opabinienne, indatable, indéterminable, dépassant de loin toutes les expériences temporelles des membres du Langevin. L’atmosphère y était liquide, voire visqueuse et la température moyenne ambiante frôlait les moins cent degrés Celsius! Comment, sur une planète aussi froide, la Vie avait-elle pu se développer? Comment avait-elle pu s’y maintenir et évoluer jusqu’à atteindre la Conscience? Cela était hors de l’entendement!
Et pourtant, partout, on voyait des cités splendides, sous la forme de coquilles de cristal, aux mille lumières irisées, ou encore d’énormes bulles géantes pareilles à des graines de fruits exotiques. Dans cette atmosphère épaisse, semi liquide, les Opabiniens flottaient avec une grâce certaine, allaient et venaient, crustaçoïdes effarants, effrayants, à cinq yeux et à penta gouvernail également, munis d’une trompe pince acérée, bien plus terrifiants que le plus menaçant des Velkriss!
Certains, appartenant manifestement à une classe supérieure, une société régie par les castes ?, présentaient des antennes semblables à celles des langoustes et des homards communs d’une autre Terre.
Mais comment se nourrissait l’espèce dominante de ce monde? Le gibier des Opabiniens, leur ennemi, était représenté par des créatures caparaçonnées, espèce intermédiaire entre les trilobites et les limules, à la queue aiguillon qui distillait un suc capable de dissoudre les carapaces les plus épaisses et les plus résistantes.
Dans cette faune innombrable et diverse, les « scorpions de mer » à trois paires de pinces n’étaient pas en reste. Leur taille excédait largement les cinq mètres. On avait l’impression que toutes les créatures qui peuplaient ce monde étrange se mouvaient au ralenti, mais il n’en était rien! Ce milieu semi aqueux, aux pressions élevées, trompait les sens. En réalité, le rapport temps différait de celui de la Terre humanoïde.
Sur cette planète-ci, les chordés n’étaient en fait jamais apparus! Opabinia avait survécu et vaincu Anomalocaris, donnant ainsi un équivalent de la civilisation odaraïenne et ce, par convergence évolutive! Un spectacle rêvé pour un xénobiologiste!
Dans des fermes aquacoles, les Opabiniens élevaient des mollusques et des vers géants qui servaient à fertiliser les sols. Des algues semi terrestres y étaient également cultivées avec soin. Ces algues étaient ensuite converties en énergie calorique alimentant les incroyables et merveilleuses cités opabiniennes.
Tous les Haäns transportés sur cette planète terre déviée, y compris Tsanu XIII, ayant repris conscience mais toujours aussi peu libres de leurs mouvements, croyaient revivre l’époque cruelle où Binopâa occupait Haäsucq, cet ennemi dieu repoussant tant haï dans la mémoire collective de ces vaillants et honorables guerriers. Quant aux Velkriss, ils voyaient là simplement leurs cousins et avaient ainsi la preuve que le but de leur souveraine bien aimée Shi Ka Aa Ta était juste! Peupler le Panmultivers d’arthropoïdes à son image!
Tous les otages de l’IA Suprême des Olphéans supportaient sans dommage ce milieu semi liquide parce que tous avaient été revêtus de combinaisons appropriées, adaptées aux différents organismes, combinaisons d’une technologie des plus avancées puisque capables de se configurer en fonction de la morphologie et du métabolisme de leurs hôtes, quelle que soit l’espèce à laquelle ils appartenaient. Les p, quant à eux, n’avaient pas eu besoin de ce support.
L’IA, avec une émotion inattendue - ressentait-elle donc, éprouvait-elle finalement des sentiments? - transmit ce qui suit à ses « invités »:
- Je vais vous montrer le culte rendu à mes spores sur cette Terra nouvelle et inconnue de vous. C’est édifiant! Ainsi vous comprendrez mieux mon rôle au sein de la Supra Réalité! Oui, l’Impulsion Première devra céder à ma requête!
Instantanément, tout ce groupe hétéroclite fut transporté à l’intérieur d’une vaste bulle.
Au-dessus d’un cylindre de nacre fumant, le roi prêtre Binopâa, revêtu d’une chlamyde d’écailles de wiwaxidés - limaces cuirassées qui formaient le gibier favori de ce souverain - tenait au bout de sa pince une sphère opalescente qui brillait d’un halo changeant, un camaïeu mouvant, mosaïcal, prismatique.
C’était une scène d’une beauté inouïe, de laquelle émanait une féerie incroyable, une irréalité digne des plus fantastiques chimères.
Les dignitaires se prosternaient devant l’objet sacré. Tous vibraient à l’unisson, partageant cette émotion, cette foi. Ils produisaient des claquements et des crissements grâce à leurs palpes de crustacés, à leurs antennes et à leurs pinces bouches. Ce langage des plus complexes fut traduit par l’IA Suprême des Olphéans à l’adresse de ses hôtes.
- Gloire à Toi, spore du Grand Ensemenceur! Tu es notre Créateur! De toi provient toute Vie! À toi retourne toute larve!
Lorenza di Fabbrini était passionnée par cette scène. Mais les Opabiniens ne percevaient pas la présence des intrus car ces derniers se mouvaient dans un autre plan d’existence de par le fait de la volonté de l’IA. En partie immobilisés, les Velkriss avaient également recouvré leur conscience. Fulminant d’impatience, ils voulaient rompre le champ lumino- temporel qui les isolait et s’emparer de la spore catalyseur de totipotence qu’ils convoitaient depuis des millénaires. Pour eux, elle représentait la survie de leur Empire, sa pérennité sa prospérité et ce, dans toutes les chrono lignes!
Cependant l’Entité olphéane était parfaitement consciente des velléités de Shi Ka Aa Ta. Ce fut pourquoi Benjamin et Lorenza reçurent cette mise en garde de l’IA Suprême.
- Attention aux Velkriss! La reine tente de rompre son isolat et d’entrer en communication avec le souverain prêtre opabinien! Quant à Tsanu XIII, investi par la puissance de la Dimension p, il ambitionne lui aussi la possession de la spore, mais à son seul profit!
- Contrez toutes ces manigances, vous le pouvez! Jeta mentalement Sitruk.
- Certes! Mais il y a plus grave, poursuivit l’IA Suprême. Présentement, Tsanu se retrouve également par une autre force supra humanoïde qui œuvre à la rupture de la contention que j’ai mise en place.
- Que pouvons-nous faire dans ce cas? S’inquiéta la doctoresse.
Mathieu, dont tous les sens étaient activés, vint ajouter une touche de noir à ce sombre constat.
- Là! Un signal caractéristique de téléportation! D’autres adversaires entrent dans la danse! Malgré leur équipement spécifique, ils peuvent être repérés par les Opabiniens car ils ne sont pas déphasés comme nous!
Effectivement, deux silhouettes en tenues semblables à celles des Asturkruks se matérialisaient.
Se trompant, émue, Lorenza murmura:
- Le commandant Wu…
- Non! Lui répondit sèchement l’Entité olphéane. Observez attentivement les visages.
Alors, elle transmit aux humains les faces qui se dissimulaient derrière les écrans des armures. Benjamin sursauta.
- Zoël Amsq! J’ai vu des portraits holographiques du Haän présentés par les amiraux Trabinor et Venge! Mais qui est donc l’autre type qui l’accompagne? Il porte une sorte de disque comme ceux des mémoires helladiennes!
- Sir Charles Merritt, fit Mathieu.
L’enfant avait été renseigné mentalement par l’IA Suprême.
Comme le craignait le fils de Daniel Lin, les Opabiniens réagirent brutalement à l’arrivée des nouveaux intrus non occultés. Instinctivement, ils projetèrent leurs trompes pinces. Zoël Amsq répliqua à cette attaque défensive en lançant des appendices préhenseurs qui vinrent enserrer et couper les outils de prédation de plusieurs autochtones. Or, juste à cet instant, le champ de contention se rompit! Instantanément, Velkriss, Haäns, Castorii et p, échappant donc miraculeusement au contrôle de l’Entité artificielle, se ruèrent à l’assaut de la spore dans le plus grand désordre.
Quelle puissance venait marquer ce monde de son empreinte négative et destructrice? De plus, cette intervention maléfique pouvait avoir des conséquences inattendues ailleurs, dans le pyramidion.
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Comment Zoël Amsq et Sir Charles Merritt avaient-ils pu se téléporter sur cette Terre déviée de près de 76% alors qu’un peu auparavant, ils étaient encore dans la salle du Trésor du Moro Naba de Texcoco tandis que le combat pour le disque mémoire s’amorçait à peine? Est-il utile de rappeler que le temps, surtout ici, est plus que relatif? C’est un temps ressenti, imaginé, étiré ou bien ralenti à l’excès! En fait, tout ce qui était en train de se passer était simultané!
Nos deux machiavéliques personnages étaient logiquement postérieurs de quelques heures voire de quelques minutes à l’affrontement qu’il nous faut maintenant raconter avec un luxe de détails que, certainement, vous ne nous reprocherez pas!
Anta, à qui plus personne ne prêtait attention, venait de s’échapper! Tentant de rejoindre son maître Sir Charles, il criait qu’il voulait se rendre à Merritt. Tout cela en langue Sami naturellement. Quelle imprudence! N’étant plus à couvert, le Lapon reçut plusieurs balles qui le foudroyèrent, d’origine russes, nazies, américaines et françaises! Il mourut sur le coup son visage n’ayant pas le temps de marquer sa stupeur.
À la mort de son fidèle serviteur, Cornelis perdit le peu de sang-froid qui lui restait. Crûment, il accusa Violetta et Ivan de ne plus avoir protégé son domestique. Or, les deux adolescents avaient de bonnes excuses. Ivan se battait et, pour la première fois de sa vie, utilisait des armes meurtrières. La jeune métamorphe usait de toutes ses ressources pour ne pas être blessée et rester vivante.
Tout en ciblant Daniel Wu, chaque camp visait également les autres, canardant ses adversaires, tirant sur les murs, les stèles, les statues, les sarcophages et autres objets précieux, détruisant les plus belles pièces de ce lieu autrefois sacré et inviolable, se montrant ainsi d’une barbarie inouïe qui prouvait que rien n’était respecté. Les balles moissonnaient leurs victimes, ricochaient partout, blessant et détruisant le plus souvent, tandis que les douilles jonchaient les dalles et que l’odeur de cordite vous saisissait la gorge, vous faisant tousser. Les phaseurs et disrupteurs chauffaient, prenaient une belle teinte orangée, l’ozone se mêlait à la poudre, tout cela au milieu d’un brouhaha infernal, au cœur des pang et des bang, des zii stridents et des hurlements, des invectives, des insultes proférées en différentes langues, des cris de douleur et d’agonie!
C’était à qui se montrait le plus déterminé, aliénant sa part d’humanité, le plus obstiné et le plus sauvage. Cependant, au milieu de ce combat empli de folie, l’autel central demeurait inaccessible ou presque.
TQT, au sommet de la fureur et de l’exaltation, criait et éructait avec son inimitable accent sudiste:
- Fumier d’Heinrich! Rascal! Bastard! Tu vas me payer ta trahison de la vingt-cinquième heure!
Fouchine, quant à lui, jetait:
- Salauds de yankees! Venez donc me prendre le duc Von Hauerstadt si vous en avez le courage! Nos vaillants soldats du KGB valent cent des vôtres! Et vous le savez! Votre otage indien, il ne vous sert à rien! C’est du pipi de chat!
- Ruskoffs pourris, avalez-moi ça! Rétorqua il Condottiere en balançant une grenade sur le commando soviétique.
Cependant, au milieu de cette tuerie désorganisée, les Russes avaient réussi à prendre à revers les Américains mais se retrouvaient ainsi face aux SS qui, sans un frémissement, flambaient aux lance-flammes leurs ennemis. Telle une Walkyrie survoltée, déchaînée, ayant depuis longtemps abandonnée son vernis de femme du monde, Lady Alexandra maniait cette arme terrible avec une maîtrise remarquable!
Partout le sang, la fumée, les gémissements, la mort!
TQT, malgré ses rodomontades, refusait de s’exposer et tentait de se mettre à l’abri. Il n’avait nullement l’intention de mourir glorieusement. Désormais un peu en retrait, il menaçait d’exécuter Pacal si Daniel Wu ne se rendait pas à ses troupes. Perdant lui aussi tout sens de la mesure, il exigeait également qu’on lui remît le disque mémoire.
Tobias Nobengula et Augustus Geschenk, profitant d’une seconde jeunesse grâce à leurs combinaisons spéciales, se croyaient invincibles. Avec un bel ensemble, les deux sexagénaires exécutèrent un magistral roulé-boulé et se retrouvèrent au cœur de la mêlée sans que leurs cœurs battissent plus vite!
Las pour eux! Les balles crépitaient tout autour d’eux et l’une d’entre elles atteignit le Noir à la jambe! Mais l’Africain se mit à ramper tel un pro tout en tirant, abattant ainsi un para de Serrucci, puis un SS. Magnifique exploit, n’est-ce pas?
Mais son triomphe fut de courte durée. Son pied valide accrocha l’aspérité d’une dalle faussement anonyme! Un piège fut actionné. Alors, au grand dam de l’homme politique, deux panneaux basculèrent, se refermant sur leur proie. Tobias s’était redressé malgré la douleur, poussé par l’instinct. Mais il ne put réchapper au mortel mécanisme. Un claquement termina le basculement, si sonore que le bruit se répercuta
sur trois niveaux. Le Noir fut écrasé, réduit en bouillie, victime de cette sorte d’attrape-mouches géant!
Son ami ne fut pas mieux loti. À la suite de son roulé-boulé, l’Allemand avait perdu ses lunettes. Désorienté, il glissa vers la gauche, là où les Haäns de Zoël faisaient chauffer leurs phaseurs. Immanquablement, devenu une cible facile, il fut atteint par quinze tirs orangés à la fois! Autant dire qu’il ne resta rien pas même un atome, encore moins un flocon de cendre d’Augustus! Ah si! Une vague trace d’ozone!
Paniquant à la vue de la mort de deux compagnons et complices de l’ultralibéralisme, comprenant qu’il n’était pas de taille face à des soldats professionnels longuement entraînés, Olympio eut soudain l’ardente envie de fuir au plus tôt ce lieu maudit! Il accomplit le seul geste qui le condamnait sûrement: avec fébrilité, il actionna le téléporteur endommagé de sa ceinture!
Et… il éclata, se fragmentant en lambeaux sanglants écœurants, monstrueux, chairs innommables et tourmentées, brûlées, organes et tissus épars qui s’en vinrent se rematérialiser un peu aléatoirement au cœur du pyramidion! L’épouvante gore à l’état pur. Restes de tronc amalgamés au plafond, fragments à peine reconnaissables de bras et de jambes souillant les marches de l’autel, ou encore mêlés à une colonne, tête décapitée, la surprise se retrouvant suspendue telle une horrifique breloque à la lance d’une statue chryséléphantine du dieu renard Ogo, le jamais si bien nommé!
Toujours en vie, Pavel Pavlovitch, au top du top, voyait ses hommes tomber et Lady Alexandra se rapprocher dangereusement de lui. Il ignora superbement Hillerman qui, de son côté, agissait de même. Le Soviétique délaissa alors momentanément sa Kalachnikov pour se saisir de son pistolet automatique. Soigneusement, il visa l’aristocratique partisane d’Oswald Mosley et du BUF qui, souventes fois, avait pris le thé avec le duc de Windsor. La belle aryenne reçut de plein fouet une balle qui alla se loger dans ce qui lui tenait lieu de cœur! Joli cadeau, non, de la part de ce splendide tireur d’élite du KGB !
Choqués et furieux, Heinrich et son grand-père Dieter Karl se précipitèrent vers la mourante, et, oubliant toute forme élémentaire de prudence, vidèrent la totalité de leurs chargeurs en direction des « Untermenschen » slaves! Or, ce faisant, la botte d’Heinrich fut saisie par un crochet sorti subitement de nulle part. De peur et de rage, le traître hurla. Son cri s’acheva en un immonde gargouillis du plus sinistre effet. Tel « Lo Spellato » l’écorché de cire du XVIIIe siècle du musée de La Specola de Florence, le Tyrolien venait littéralement d’être dépouillé vif de sa peau, vedette d’un film d’horreur de série Z. Sans le savoir, il avait subi le sort que ses dieux SS réservaient à leurs proies dans des expériences qualifiées pudiquement de médicales dans les camps de concentration. Mais il ne s’agissait pas encore de la fin pour le corps d’Heinrich! Son épiderme, arraché au cadavre encore chaud, resta suspendu dans les airs, tout dégoulinant d’hémoglobine, un peu comme un Sucuriju abandonnant sa vieille peau après une nouvelle mue.
Devant une telle abomination, ne se souciant plus désormais de porter secours à sa belle, définitivement défunte, Dieter Karl perdit toute lucidité. Se saisissant de deux mitraillettes délaissées sur les dalles, il les déchargea sur les ennemis qui l’entouraient, avec un rictus qui le défigurait, faisant exploser crânes et cervelles, poitrines et poumons.
Le sol glissait, transformé en rigoles de sang. De celui-ci émanait une odeur douceâtre et ferrugineuse qui vous soulevait le cœur.
Serrucci ne réchappa pas à la folie meurtrière du capitaine SS. Le mercenaire corse qui avait œuvré au Congo belge et au Katanga, lui qui avait payé de sa personne en se plaçant au service de Moïse Tchombé, puis qui, pour son malheur, avait rejoint Sir Charles Merritt, trépassa à son tour, sa cervelle giclant sur les colonnes de la salle au trésor.
Pendant ce temps, des tireurs d’élite de la NSA avaient mis en joue le capitaine Hinckel. Il fallait protéger TQT qui avait fini par se réfugier piteusement derrière un pilier. Dieter Karl fut donc transformé en passoire. L’uniforme noir tant haï et redouté fut troué par les dizaines d’impacts de balles qu’il reçut. Il n’eut que la force de commencer à articuler cette question: « Warum ? », (pourquoi), avant de mourir sans comprendre ce qui lui arrivait.
Une fois encore, le continuum espace-temps avait été modifié.
Au sein de sa bataille échevelée, véritable pandémonium, vint se rajouter une clameur supplémentaire, un guerrier résolu et admirable, une machine vivante à tuer d’une efficacité jamais égalée, Kiku U Tu himself! Le Troodon, onde insaisissable, son armure Asturkruk en configuration de déphasage maximal, tactique Wiwaxia et bouclier Archelon à la puissance létale optimale branché - les balles, les flammes des lance-flammes, les feux des disrupteurs voyaient leurs tirs ricocher et revenir à l’envoyeur avec les conséquences que l’on devine, c’est-à-dire que les agresseurs étaient transformés en crêpes brûlées ou en pitoyables descentes de lit - se ruait, chien fidèle, au secours du commandant Wu, avec toutes ses capacités et talents.
En une seconde à peine, il réduisit en lanières rouges ou en purée rosâtre les acolytes de TQT, les agents de la NSA pourtant surentraînés, le Premier Ministre espagnol Juan Nuñez, renfort tardif du Sudiste, surnommé par ses compagnons James Finlayson à cause de ses bacchantes légendaires, le président du FMI et le PDG de la compagnie pétrolière texane Galveston Oïl Cy, Rick Tierney, dont le Gouverneur du Nouveau-Mexique projetait d’en faire son colistier en vue des prochaines élections présidentielles.
Irina qui avait fort à faire face à six Soviétiques, oubliant ses origines russes, accueillit ce renfort inespéré chaudement.
- Lieutenant U Tu, vous êtes le bienvenu à bord! Dit-elle à l’adresse du Troodon à l’aide de son vocodeur.
Au fond de la salle du trésor, Cornelis et Varami cherchaient à tirer profit de la situation plus qu’embrouillée. Comme Ivan et Geoffroy, tout entiers au combat avaient oublié les deux tristes sires, les aides et amis de Sir Charles agirent de concert. En déphasage eux aussi, grâce à leurs tenues de protection, ils neutralisèrent leurs gardiens avec une facilité déconcertante. Cornelis se chargea d’Ivan qu’il mit KO d’un crochet du droit tandis que Varami assommait proprement le comte d’Évreux en lui fracassant un vase ornemental sur le crâne! Puis, les deux ex-otages exécutèrent une succession de roulés-boulés en direction des guerriers Haäns de Zoël. Le chercheur était protégé par sa garde personnelle composée de quarante-cinq soldats habitués aux plus durs combats. Justement, s’avisant du danger représenté par la venue soudaine de Kiku U Tu, ils activaient leurs défenses spéciales.
Or, parallèlement, comme plus personne ne semblait se soucier de lui, Franz était venu à bout de ses liens. Le malabar préposé à sa surveillance avait été distrait par une balle perdue qu’il avait reçue au bras droit! Sans sourciller, le duc acheva le Russe d’une terrible manchette administrée sur la nuque. Victime de ce coup de lapin imparable, le Soviétique mourut sur-le-champ!
Il restait au noble Allemand à faire la jonction avec l’équipe du commandant Wu. Von Hauerstadt n’avait plus Pavel Pavlovitch dans son champ de vision. Ce dernier paraissait avoir lâché ses hommes encore capables de se battre. Quant au gros de ses troupes, il était hors jeu!
Des odeurs nauséabondes de chairs carbonisées, de cornes et d’os brûlés, de sang refroidi et figé émanaient des corps épars des hommes du KGB. Même Varami n’aurait pas voulu de telles dépouilles pour ses tsantsas.
Nullement ému par tous ces cadavres, cet entassement d’ennemis morts, l’ancien lieutenant colonel de la Wehrmacht ramassa deux mitraillettes qui traînaient au milieu de cette boucherie et tira sur les Soviétiques rescapés ainsi que sur les SS survivants. Son visage n’affichait aucun état d’âme. Cet allié supplémentaire de Daniel Wu pouvait changer la donne. Implacable, tout en avançant lentement, il fit des ravages au sein des ennemis du daryl androïde. Devant le crépitement des balles crachées par les kalachnikovs, les corps s’amoncelaient, s’entassaient, alors que Franz progressait d’un pas nonchalant comme s’il accomplissait une promenade hygiénique tout en sifflotant une des variations de la Grande Chacone de Jean Sébastien Bach! Surréaliste, on vous dit!
De son côté, Pacal qui ne faisait pas honneur à ses ancêtres malgré la pureté de son sang Maya, ne pouvait retenir un tremblement nerveux. Or, un émule de Scurvy Dick, l’acteur au charme brutal et au crâne rasé bien connu, le surveillait de fort près.
Derrière son abri improvisé, TQT se rappela aux bons souvenirs de tous en lançant un ultimatum au commandant Fouchine, à Sir Charles et Daniel Lin! L’automatique appuyé sur la tempe du jeune Amérindien, il menaça d’abattre son otage si le commandant Wu ne repassait pas en vitesse normale et s’il n’ordonnait pas aux siens de faire de même! Tout cela dans son langage châtié habituel, digne du diplômé d’Harvard qu’il était! L’ultimatum n’eut pas l’air de troubler le moins du monde les tempsnautes. Pas plus d’effet qu’un pet de mouche, constata l’Américain avec amertume.
Antor avait décidé de tenter un coup décisif. Il voulait prendre à revers le camp des ultralibéraux afin de libérer au plus vite l’Amérindien. La patience de TQT avait ses limites. Profitant de la diversion créée par Kiku qui se régalait et bavait en abondance en luttant au corps à corps contre les gardes personnels de Zoël Amsq - dont la mission était devenue désormais protéger leur chef coûte que coûte - en leur administrant d’effroyables coups de queue qui faisaient des ravages, le vampire, bondissant plus rapidement que la foudre sur le sosie de l’acteur américain surnommé « Crève dur », port de la combinaison Asturkruk oblige, le mordit cruellement à la gorge, trouant sa carotide!
Sous les yeux médusés et horrifiés du gouverneur américain se produisit alors un phénomène sorti tout droit des romans d’Anne Rice, Bram Stocker et j’en oublie! À une vitesse foudroyante, le soldat d’élite parut blanchir, vieillir, se dépigmenter et se ratatiner. Se momifiait-il donc? Non! En fait, Antor s’en nourrissait tout simplement, avalant avec délectation tous les sucs de sa victime!
Enfin, façon de parler puisque tout cela ne dura pas plus de quelques secondes, le corps entièrement desséché, à peine identifiable, s’effondra telle une baudruche dégonflée sur des dalles déjà fort encombrées et désormais d’une saleté repoussante.
Pacal se sentit saisi par une main invisible. Au bout de sa panique, il fut tétanisé. Raide et figé comme une statue, le jeune homme se laissa emporter. Les partisans de l’ultralibéralisme et TQT le premier ne firent rien pour récupérer leur précieux otage.
Que devenait Cornelis van Vollenhoven durant cette tuerie? Progressait-il encore en direction de Sir Charles Merritt et Zoël Amsq? En fait, il peinait à distinguer leurs silhouettes à travers toute la fumée. Il sentait toutefois tomber autour de lui des cadavres appartenant aux paras mercenaires et aux Haäns, tous atrocement mutilés.
Encore et toujours, partout, la mort, décidément insatiable, jamais satisfaite… les yeux de l’anthropologue archéologue rougissaient et larmoyaient. La poudre et l’ozone rendaient l’atmosphère quasiment irrespirable malgré le masque peau filtrant toutes les émanations toxiques.
De plus, les tirs croisés avaient déclenché un nouveau piège. Des gaz lacrymogènes made in Mexafrica se répandaient dans le pyramidion, résumé des tourments de l’enfer. Toussant de plus belle, le Hollandais étouffait. À demi aveuglé, il s’agrippa inconsidérément à la statue d’une divinité à tête de mort dont le bras, faisant levier, s’abaissa sous la pression. Aussitôt, un couperet laser actionné découpa en deux parties strictement égales l’archéologue dévoyé qui, un jour, pour son malheur, avait rencontré Sir Charles. Nouvel émule du vicomte pourfendu d’Italo Calvino il mourut! Cette pièce anatomique de choix aurait pu maintenant figurer un parfait spécimen pour la plastination d’un certain Gunther Von Hagens, le prétendu artiste!
Charles Merritt avait assisté, impuissant, à la mort soudaine de son ami. Mais, bigre, pourquoi ne se battait-il donc pas, ne donnait-il pas de sa personne? Cela n’entrait pas dans ses habitudes! Toutefois, criant son chagrin, il morigéna Zoël.
- Et alors? Je ne comprends pas votre colère! Je mène une guerre, Sir Charles! Vous semblez l’oublier. Que m’importent le nombre et la qualité des morts si j’atteins mon but! En attendant, un recul tactique s’impose!
Le chercheur hurla de nouveaux ordres à la garde d’élite.
- Occultation en déphasage optimal! Retrait de quarante mètres!
Il fut obéi à la milliseconde. Qui en doutait? Tant pis pour Varami! Il n’avait qu’à se débrouiller…
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Or, ledit Varami n’avait nullement l’intention de prendre part à la bataille. Après sa série de roulés-boulés, il se réfugia, non auprès de Zoël Amsq, mais auprès de Sun Wu. Curieux choix en vérité! Le Chinois, tapi dans son coin, ne prêtait nullement attention à l’Amazonien. Totalement, fasciné, le chef du Dragon de Jade observait les différentes phases du combat. Il voyait chaque adversaire faire preuve d’une cruauté inouïe, surhumaine.
À l’abri, l’Achuar imita le vieux maître de la ruse. Il comprit ainsi que, face à Daniel Wu, toute cause semblait perdue. Réfléchissant, il chercha le responsable de ce micmac désastreux, et regrettait déjà de n’être qu’une pièce manipulée par Sir Charles Merritt. Mais le baronet n’était plus maître de son destin. Tout ceci, était-ce bien la faute de l’Anglais? Peut-être celle de cet étranger vindicatif venu des étoiles?
Non… Il faisait erreur! Là, en cet instant, il se souvenait que c’était cet homme aux yeux bridés, à la barbe blanche bizarrement taillée qui avait suggéré à Cornelis et à Sir Charles une petite visite anticipée dans les tombeaux des prêtres et des souverains Moro Naba. Oui, incontestablement, le Chinois fourbe était la cause de la mort de Cornelis! Il lui fallait le tuer! Exécuter ce conseiller malfaisant à la langue menteuse là, au plus vite! Ce serait un jeu d’enfant pour lui, l’Achuar rompu aux mille dangers de la forêt impénétrable! Tout doucement, imperceptiblement, l’Amérindien sortit son poignard et se rapprocha davantage encore de Sun Wu.
Or, le Maître du Dragon de Jade s’était rendu compte du manège de Varami! Au lieu de s’avouer vaincu, il usa de son pouvoir de persuasion, qu’il savait grand, sur l’Amazonien et se mit à lui parler lentement, en anglais. Sa voix doucereuse s’infiltrait, gagnait du terrain dans les synapses de Varami.
« … regarde les bien! Tu les vois tous avides de combattre. Que veulent-ils donc? Que convoitent-ils? Toujours la même chose depuis l’aube des temps… l’or! Oui, l’or! Ils envahissent de nouvelles terres, de nouveaux mondes pour satisfaire cette soif toujours grandissante! Ils pillent, volent, massacrent, tuent pour l’or, ce métal jaune! Ici, si loin de chez toi, il en va de même, là où les guerriers à la peau noire ont pris le dessus et où ils oppriment tes frères depuis de longues générations déjà! Comme ailleurs, jadis les tiens le furent par les hommes à la peau couleur de lune. Quel que soit le cours de l’histoire, quel que soit le Soleil qui éclaire la Terre, les Indiens, les Achuars, Jivaros ou autres noms qu’on leur donne ou qu’ils se donnent, les peuples de la Grande Forêt sont toujours les perdants!
Auprès de Sir Charles Merritt, tu as appris à ruser et à combattre! Ne regrette pas ta servitude d’antan! Mais il est temps de passer à autre chose! Auprès de l’Anglais, tu ne servais pas ton peuple! Tu n’étais qu’un outil, une arme qui émoussée, est jetée après avoir trop servi! Prends ton destin en mains! Abandonne tes liens désormais fort lâches, deviens le Chef des Mexica opprimés par les Bantous, Toucouleurs et Mandingues! Il t’appartient de les guider, de leur apprendre à secouer le joug odieux! Tel est ton destin!
Vois ces Tlaxcaltèques à la peau brûlée qui, malgré leurs souffrances, malgré le mépris du Yankee à la voix nasillarde sont parvenus jusqu’ici! Ils cherchent un chef! Un leader! Deviens-le! Ils t’attendent! Ils n’ont pas à combattre, tout comme toi, pour une cause qui n’est pas la leur! Cours les rejoindre. Explique-toi. Explique-leur! ».
Impressionné par ce flot de paroles, par le ton employé, Varami hochait régulièrement la tête. Mais s’agissait-il bien là de Sun Wu en train de s’exprimer? Michaël ne s’exprimait-il pas par l’intermédiaire du vieux chef du Dragon de Jade?
Après quelques secondes de silence, silence relatif, Varami chuchota:
- Vieil homme, un instant j’ai désiré te tuer! J’avais tort! J’ai une mission plus noble à accomplir.
Tranquillement, l’Indien rengaina sa lame et s’adossa contre le mur, attendant l’issue de la terrible bataille. Avant de quitter les lieux, il voulait informer Daniel Wu de la résolution qu’il avait prise; libre désormais, il voulait apporter cette liberté à tous ses frères, les hommes de la cinquième humanité, celle que les dieux avaient fait cuire trop longtemps dans les moules exposés au Soleil.
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Le combat, dépassant tout entendement, toute raison, touchait à sa fin. La débandade des groupes adverses des tempsnautes était générale. Fermat récupérait Pacal, libre, mais choqué. Il aida l’adolescent à revêtir une tenue de protection.
De son côté, le duc Von Hauerstadt fut accueilli par Kiku U Tu himself qui lui fit force compliments.
- Monsieur, j’ai grandement apprécié votre façon de vous battre! J’ai été honoré d’être à vos côtés! Et je regrette infiniment d’avoir voulu vous dévorer autrefois! J’en suis humilié! Accordez-moi votre pardon. Voici ma queue…
- Euh… fit Franz ne comprenant pas.
- Il veut que vous l’entailliez et que vous vous barbouilliez le visage de son sang en signe d’acceptation de son amende honorable et de son hommage des plus sincères, expliqua Violetta d’une voix grave. Ne le décevez pas! Son sang pue, certes, mais il n’est pas toxique. Vous ne risquez rien. Mon oncle a procédé à cette cérémonie lui aussi lorsqu’il a pris le commandement du Langevin il y a sept ans.
- Soit, répondit Von Hauerstadt mi-figue mi-raisin.
Le Germano-américain se conforma alors au vœu du Troodon au grand contentement de celui-ci.
- Désormais, je serai aussi votre commensal! Rugit-il la larme à l’œil.
- C’est moi qui me trouve honoré, conclut Franz avec sérieux.
Daniel vint mettre fin à ce cérémonial d’un autre temps. Il était repassé à vitesse normale.
- Il semble que les Haäns battent en retraite. Ils s’occultent totalement afin sans doute de se téléporter sans risques.
- Ouille! Je n’aime pas ça! Siffla Fermat. Ça pue le coup fourré!
- Sir Charles Merritt et Zoël Amsq ne sont pas avec leurs troupes! Constata Irina.
- Moi, je me méfierais plutôt de Fouchine, fit Tony Hillerman sur un ton indéfinissable. Il ne figure pas parmi les morts…
Antor, qui s’était rapproché, le visage moins blême que d’habitude, s’écria:
- Attention! TQT tente une sortie désespérée couvert par ses derniers gardes du corps!
- Kiku se retrouve en plein dans leur axe de tir! Souffla Violetta.
Effectivement, le lieutenant Troodon concentrait sur lui les balles des mitraillettes, des fusils automatiques, les tirs des lance-flammes et autres joyeusetés du même acabit. Cependant, sa peau cuirassée, ses écailles et ses plumes naissantes en avaient vu d’autres.
Protégé par les derniers agents de la NSA qui lui restaient, hors de lui-même, les yeux fous, l’ultralibéral Yankee, tel Uruhu auparavant, tentait le tout pour le tout et escaladait l’autel avec d’autant plus de facilité que les cadavres entassés devant lui servaient de marchepied. Dans son délire exalté, il hurlait et vociférait les paroles suivantes:
- Kings of the World! Market! Free trade! Only you!
Maladroitement, l’homme politique atteignit la table sacrée et s’y cramponna. Or, elle était toute poisseuse de sang et terriblement glissante. Alors qu’il croyait se saisir de la fragile face d’argile de Pi’Ou, il pensa être l’objet d’un cruel tour de sorcellerie! Une silhouette fantomatique lui barrait le chemin! Manifestement, elle était surgie de nulle part. La main gantée de Sir Charles Merritt, le Britannique toujours déphasé, s’empara du trésor sublime au nez et à la barbe de l’Américain! La tête spectrale prononça à l’adresse de l’ennemi vaincu un « Thank you very much mister Thomas Quincy Taylor » avec une telle ironie et un si bon accent Oxbridge que vous ne pouviez que vous sentir parfaitement stupide!
Comme l’avait pensé si justement l’ambassadeur, l’occultation de la compagnie Haän n’avait été qu’une ruse supplémentaire. Zoël Amsq, d’une prudence stupéfiante, avait eu le culot d’envoyer son « partenaire » récupérer le disque mémoire!
Or, le retrait de la face sacrée de sa niche eut pour résultat d’activer un nouveau mécanisme tout aussi mortel que les précédents! Deux pieux acérés jaillirent du sol à une vitesse inattendue et transpercèrent l’Américain ultra mondialiste obligeant son corps à prendre la forme d’une croix sudiste! Ainsi se termina cruellement l’existence du fils de TTT, le plus dangereux des imbéciles ultralibéraux, « crucifié » au nom du dieu Marché!
André Fermat qui avait esquissé un pas pour tenter d’arrêter le fol, jeta amèrement:
- Une fois de plus, Zoël Amsq a remporté la manche! Décidément, la poisse nous colle à la peau!
- Euh… oncle André… risqua Violetta timidement. Uruhu pleure de désespoir; il faudrait que tu lui parles car il te considère comme un père…
Kiku n’avait en fait jamais été réellement mis en danger par les tirs des Américains. Il réglait leur compte aux ultimes agents de la NSA et les éventrait méthodiquement à l’aide de sa griffe poignard surdimensionnée, tel un raptor, et ce, avec une délectation visible. La preuve! Le Kronkos bavait tant et plus, oubliant toute retenue!
Tony Hillerman, tous ses sens aux aguets, surveillait les arrières de son groupe. Ainsi, il aperçut Sun Wu et Varami tapis sous un renfoncement. Irina commandait aux adolescents:
- Vous allez vous servir du matériel médical d’urgence et donner les premiers secours aux survivants quels qu’ils soient, humains ou Haäns.
- Si nous remettons ces blessés aux Mexica, ils les achèveront! Objecta Geoffroy.
- Nous devons néanmoins soulager leurs souffrances! Mais ils n’en ont pas pour vingt-quatre heures. Leurs blessures sont létales.
Stankin, Violetta, Ivan, Geoffroy et Irina commencèrent donc à s’occuper des rares survivants salement amochés. Mais Daniel percevait dans le lointain des rumeurs qui allaient en se rapprochant; manifestement, les autochtones avaient pénétré dans la pyramide temple.
- Nous devrions ne pas trop nous attarder ici, conseilla le daryl androïde. J’entends comme des gémissements. En russe. Quelqu’un s’est dissimulé derrière cette colonne historiée. Je vais voir de qui il s’agit…
- Non! S’écria de toutes ses forces le lieutenant Tony Hillerman, s’interposant. C’est mon combat!
Dans la clarté enfumée et irréelle, les yeux du Noir brillaient étrangement. Il avait ôté ses lunettes et ainsi ressemblait davantage à Laurence Fishburne. Alors, l’incroyable se produisit. Daniel Wu s’inclina solennellement et laissa son lieutenant affronter Fouchine devant les tempsnautes surpris.
Le duel s’engagea rapidement entre le Soviétique et l’Africain, constitué de bribes d’arts martiaux divers où le karaté se mêlait au taekwondo. Les mouvements s’enchaînaient avec une fluidité inouïe, les esquives et les coups de pied se multipliaient, les tranchants de la main, les sauts et saltos aussi, les retournements inattendus, les roulés-boulés et les vols aussi, le tout à une vitesse époustouflante, défiant les lois de la pesanteur. Parfois, les deux adversaires se retrouvaient comme suspendus dans les airs, couraient au plafond ou sur les murs sans déclencher de nouveaux pièges, bondissaient d’une paroi à une autre si vite que l’œil humain peinait à les suivre.
Souvent, le temps paraissait ralentir, comme suspendu artificiellement, une seconde devenant une minute! Cet affrontement tournait au prodige! Avec un air de déjà vu toutefois pour quelques membres de l’assistance; pourtant, ici, les deux combattants n’étaient pas accélérés ou freinés par trucages informatiques! De plus, leurs combinaisons ne fonctionnaient plus. Que se passait-il donc?
- Impossible! Jeta Fermat réfléchissant.
- Fascinant! Rajouta Stankin.
- Super, oui! Hurla Violetta avec tout son enthousiasme juvénile. Morpheus affronte l’agent Smith! Comme dans la trilogie des Matrix!
- Que veux-tu dire? S’enquit Geoffroy.
- Les amis attendez une vingtaine d’années et vous comprendrez de quoi je parle! Vous irez sans doute voir la trilogie en salle. À l’heure qu’il est- je me place en 1978 - Laurence Fishburne est un jeune comédien noir débutant et celui qui fait Néo, le rôle principal, n’a que quatorze ans!
- Ouais, d’accord! Siffla Ivan. N’empêche, c’est bizarre! Que je sache, à part le commandant Wu, il n’y a pas d’autres humains bioniques ici!
- Au fait, tu as raison! Enchaîna le comte d’Évreux. Comment un type à l’air aussi falot peut-il accomplir de pareilles prouesses?
- Moi, je m’interrogerais également sur les capacités insoupçonnées du lieutenant Hillerman! Jeta Antor. J’ai lu son dossier. Ce n’est qu’un banal humain et non un mutant génétiquement modifié!
- Prise de stimulants, de drogues? Suggéra Ivan.
- Certainement pas! Répondit le vampire glacial. Il est clean du moins à ce niveau-ci!
- Lisez-vous les pensées des deux combattants? Interrogea Geoffroy.
- Je n’ai rien de particulier à noter. Or, Daniel Lin sait à quoi s’en tenir mais il me cèle ce qu’il a appris! Et je ne capte rien non plus de la part de ce triste sire de Sun Wu. Étrange, non?
Durant cet échange, le Grand Maître du Dragon de Jade communiquait mentalement avec son jeune parent.
- Vous ne vous trompez pas, faisait le vieil homme.
- Pourra-t-il tenir? Je suis inquiet! L’autre se doute de quelque chose!
- Je n’ai pas pour habitude de casser ceux que j’utilise! Bientôt, je vais devoir me retirer…
- Et vous me laisserez affronter seul le pantin de l’onde noire!
- Je n’ai pas le choix, Daniel Lin! Il le faut! Ailleurs, déjà, tout bouge!
- Où?
- Quand, plutôt! Opabinia… Napoléon… l’Entité négative vient d’entrer en scène! Vous êtes de taille à vous mesurer à Fouchine et à le maîtriser! Même si, pour l’heure, il est investi par le Commandeur Suprême! Sa force et sa puissance ne dureront pas.
- Les S…
- En quelque sorte!
- Mais cette chrono ligne ne vous appartient pas!
- Erreur! Tous les Temps, tous les Multivers font partie de mes attributions! Voilà… je me retire. Hillerman tombe assommé. C’est à vous! Évitez de tuer le Soviétique! Son rôle n’est pas achevé!
- C’est facile pour vous de me dire cela! Vous voyez ce qui sera ou a été!
- Oh! Mais il en va de même pour vous, Daniel Lin Wu Grimaud! Il suffit de le vouloir!
Pavel Pavlovitch venait de réussir à placer un direct du pied au visage de Tony Hillerman. Le Noir ne comprenait plus ce qui lui arrivait, ce qu’il faisait dans cette salle sens dessus dessous, pourquoi il se battait avec une rage désespérée. Une manchette au foie l’assomma définitivement!
Puis, le visage marqué par la haine, sa tenue de combat déchirée et souillée de sang et de poudre, le commandant Fouchine s’avança résolument vers le daryl androïde tout en lui faisant signe de l’attaquer!
- Ah! Je ne puis décidément me dérober! Soupira Daniel.
Un autre affrontement dantesque débuta alors. Le précédent n’avait été qu’un duel préliminaire, un échauffement! Plus que prompt, plus que fluide, au-delà des sens, au-delà de toute vraisemblance, Pavel Pavlovitch accumulait les jeux de mains, de jambes, les tours de poignets, les moulinets, les bonds surprenants, les vols planés, les vrilles, les loopings, les tourbillons, les feintes, les renversements, les triples, quadruples, quintuples boucles, les sextuples sauts périlleux, les défoncements des dalles de pierre, les retournements arrière, les roues, les rétablissements inattendus, les projections de piliers, les lancements d’objets les plus inadéquats, les glissements, les fondus enchaînés, les téléportations, les dédoublements, les démultiplications, bref, l’ubiquité pleine et entière! Il était insaisissable, partout à la fois et hurlait afin d’intimider son adversaire. Il se saisissait parfois de lui, tentant de l’étouffer pour le relâcher aussitôt avec une effroyable grimace, reculait, revenait, portait des coups redoutables pas toujours contrés par le daryl androïde, s’esquivait, coulait littéralement, se fondait dans l’air, dans l’atome pour réapparaître subitement, frappait, était frappé à son tour, encaissait, infligeait des blessures qui se cicatrisaient automatiquement, disparaissait, se rematérialisait, devenait épée laser, lame multiple, feu, lance, acide, ténèbres, énergie, fluide glacé et douloureux, eau, onde lumineuse fragmentée, colle, poison imparable, arme inédite, pas encore inventée ou construite, homme machine, perceuse, perforeuse, terrassier, gaz, éther, démon, dieu, griffe, dent, épines, crochets, attaquait, attaquait encore et toujours, jamais à terre, jamais découragé, jamais vaincu!
Daniel reculait quelques fois, revenait à la charge, apparemment insensible à l’épuisement, reprenant un combat qu’il se refusait de perdre. Enfin, il se décida à débrider partiellement sa transdimensionnalité au grand dam de Fouchine Commandeur Suprême!
Et le temps avançait tel un paresseux plongé en catalepsie, tel un vaisseau trans luminique fendant l’espace profond dans le plus grand des silences! Tous, dans la salle du trésor, plongés dans l’admiration, assistaient à ce spectacle incroyable, ce duel fabuleux, aidés par les écrans des casques Asturkruks. Il n’était pas question pour les tempsnautes d’intervenir, de se mêler à ce combat défiant l’imagination.
Totalement fasciné, Stankin commit l’erreur de ne plus surveiller Sun Wu. Antor quant à lui, s’inquiétait pour son ami, son frère. Il savait que Daniel puisait dans ses réserves et il n’ignorait pas qu’il avait été blessé deux mille cinq cents fois environ. Or, ses nanites, trop souvent sollicitées en un si court instant, allaient bientôt déclarer forfait!
Il fallait un grain de sable, un miracle pour que Fouchine perdît! N’y avait-il que le vampire pour comprendre cela?
Alors, Sun Wu s’interposa, son corps téléguidé par Michaël! Et ce fut lui qui reçut à la place du Russe l’ultime coup porté par un Daniel qui croyait capituler bientôt! Sous l’impact du Titan, le foie du vieil homme éclata!
Se rendant compte un peu tard de son geste, Daniel Wu se figea! Fouchine, incroyablement, fit de même. Un rictus de haine et de souffrance le défigurait. Lui avait compris! Profitant de ce que le daryl androïde se penchait sur sa victime involontaire, il se volatilisa, partit pour un ailleurs inconnu, peut-être avec l’intention de récupérer le disque mémoire, mais certainement pour pister avant tout Michaël, l’agent temporel terminal qu’il avait enfin démasqué! Agissant ainsi, Pavel Pavlovitch venait de prouver qu’il était désormais l’hôte permanent du Commandeur Suprême et qu’il avait perdu définitivement son libre arbitre. Devenu un jouet mû par la volonté de la sphère noire, il allait connaître un destin des plus surprenants…
Mais sur le sol jonché de cadavres et de gravats, Sun Wu agonisait. Avant de passer de l’autre côté, il eut toutefois la force de déclarer dans un faible murmure:
- Ne vous en voulez pas mon jeune parent! Cette mort, je l’ai amplement méritée! Michaël s’est retiré et l’Entité négative est partie à sa recherche…
Le vieillard s’exprimait en mandarin, retrouvant la langue de sa jeunesse.
- Vous… avez favorisé sa fuite, pourquoi? Bégaya Daniel Lin ému et épuisé.
- Si vous aviez tué Fouchine… cette chrono ligne s’effaçait à jamais… or, vous n’étiez pas… prêt!
- Je ne comprends pas… je ne comprends plus… tantôt…
- Chut! Michaël n’avait pas encore saisi que la fusion du Commandeur Suprême avec le Soviétique était définitive! Maintenant, il vous faut pourchasser Zoël Amsq et le lier pour l’éternité! Il ne lui manque plus que la sphère…
- J’en suis conscient…
- Daniel Lin, il faut le vaincre! Il le faut!
- Je le ferai!
- Daniel Deng! Daniel Lin… quels que soient…
Sun Wu se tut, livide, dépourvu de souffle et de conscience à tout jamais.
- Daniel Deng? S’interrogea Fermat. Là, je m’avoue dépassé! Oh! Sun Wu n’est plus le même! Son corps…
- Il est mort, André! Répondit le daryl androïde d’une voix atone. Son cadavre est remplacé par celui de 1966! Plus jeune, bien plus jeune! Terriblement plus jeune! Quelle atrocité!
- Un bébé vagissant, qui meurt lui aussi, emmitouflé dans une robe de soie rouge, dit Irina les larmes aux yeux.
- L’enfançon quitte également cette réalité-ci, constata Stankin qui peinait à conserver le contrôle de ses émotions.
- Dans cette harmonique, Michaël l’avait rajeuni afin de me protéger et de protéger Violetta. Ainsi, il l’a condamné à la plus affreuse des morts… la mort par la faim!
- Daniel… Tu pâlis! S’inquiéta Irina. Pourquoi? Qu’as-tu?
- Je viens de quitter le mode ordinateur, voilà tout… maintenant, il nous faut récupérer la navette au plus vite. Les Mexica n’ont plus qu’un niveau à franchir avant de nous rejoindre.
- Commandant Wu, dit Franz qui soutenait Hillerman tandis que Stankin portait Uruhu tétanisé, Varami a déserté, mais il a laissé ce billet, rédigé en une langue inconnue…
- Donnez! Répondit le daryl androïde.
Daniel traduisit le message à haute voix pour ses amis.
- Valeureux adversaire, apprends que je pars prendre la tête de la résistance indienne à l’envahisseur africain. Désormais, je serai le grand libérateur, l’éclaireur de la cause de mes frères! Le Tathâgata Wu a dit la cause! Il a montré la voie. Je l’ai trouvée! Adieu!
- Euh… c’est une plaisanterie! Souffla Ivan.
- Le Tathâgata! Fit Geoffroy. Seigneur! Il vous prend ou a pris Sun Wu pour le nouveau Bouddha!
- Il est vrai que le Bouddha se rattache à notre famille… commença Daniel.
- En quelle langue est rédigé ce billet? Demanda Violetta avec curiosité.
- En Achuar, ma grande! Répondit Irina observant toujours Daniel avec inquiétude.
- Il faut nous téléporter maintenant! Lança son mari fermement, ignorant la sollicitude de son épouse. Ensuite, nous statuerons sur notre prochain saut temporel.
- Let’s go! Jeta Fermat. Allez, Kiku, la bataille est finie et les charognards menacent!
- J’arrive! Gronda le Kronkos.
Alors que les tempsnautes quittaient la salle au trésor, Fermat, soucieux, pensait:
« Bon sang… Qui est donc ce Daniel Deng? Ce n’est pas la première fois ce me semble que j’entends ce prénom! »
- Le frère aîné de notre Daniel! Émit Antor, le paria, celui qui aurait été « tué » par les pirates, sur Mondani, à l’âge de vingt ans! Vous le connaissez, nous le connaissons tous sous l’identité de Zoël Amsq!
- Aïe! Que le Seigneur Dieu nous vienne en aide! Marmonna André devenu soudainement livide.
- Vous n’êtes plus donc athée?
- C’est un luxe que je ne puis plus me permettre désormais! Daniel Deng, Homunculus non abouti, veut amalgamer la totipotence de son frère et devenir Dieu à son tour!
- Vous avez bien formulé la chose! Jeta Antor ironiquement. Mon ami m’a informé de la situation tandis que nous atteignions le dixième niveau de la pyramide. Les minutes sont plus que comptées!
Tandis que toute l’équipe de tempsnautes se rematérialisait à bord de l’Einstein, Irina voulut prendre à part Daniel.
- Tu n’en peux plus, ne le nie pas! J’ai vu Fouchine te porter des coups terribles et t’infliger de nombreuses blessures! Tu as besoin d’un repos urgent!
- Irina, nous n’avons pas le temps!
- Tu négliges ta santé, soit! Cela te regarde! Mais vois Uruhu! Il est traumatisé! Ivan et Geoffroy sont blessés également. Hillerman tremble de lassitude! Il n’y a que Kiku qui brille dans ce tableau.
- Capitaine Maïakovska vous avez entendu Venge et Trabinor tout comme moi!
- Puisque vous passez en mode militaire! J’obéis, monsieur! Nous nous reposerons dans la tombe puisque tels sont les ordres!
- Je n’ai pas… non… nous n’avons pas le choix!
- L’avons-nous jamais eu?
Claquant des talons, la jeune femme fit demi-tour et s’en vint vérifier l’hypothermie douce d’Ufo et de Tatiana.
Violetta, son oreille à l’affût, avait tout entendu.
« Bouh! Ça va mal! Décidément! Mon oncle est harassé et même plus; Irina en colère, Michaël, le Bon Samaritain pourchassé, Zoël Amsq quasiment vainqueur par 6 à 0... Bref, j’ai envie de hurler: Batman au secours! Il n’y a que mon entraînement et ma bonne éducation qui me retiennent! ».
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