samedi 7 janvier 2023

Ces écrivains dont la France ne veut plus 42 : Séverine.

 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/10/CarolineRemy-Renoir.jpg    

La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le genre humain que la découverte d'une étoile (Anthelme Brillat-Savarin : Physiologie du goût).

 Le Vachez Collection - Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826).jpg

Une fois n'est pas coutume, j'ai souhaité ouvrir cet article par un portrait de l'impétrante par Auguste Renoir. Séverine (Paris 27 avril 1855 - Pierrefonds 24 avril 1929), alias Caroline Rémy sera notre première journaliste à figurer dans cette série d'articles. Le féminisme littéraire prit son essor dans la seconde moitié du XIXe siècle, en même temps que le féminisme journalistique. Aussi Séverine est l'exacte contemporaine de l'Américaine Nellie Bly (1864-1922), de son vrai nom Elizabeth Jane Cochrane, qui défraya la chronique en battant Jules Verne et Phileas Fogg sur leur propre terrain, en bouclant un tour du monde en soixante-douze jours (14 novembre 1889 - 25 janvier 1890). Désormais, grâce entre autres à Séverine et Nellie Bly, les écrivaines n'auront plus besoin d'écrire sous des pseudonymes masculins. Il est intéressant de savoir que Nellie Bly rut une concurrente, Elizabeth Bisland (1861-1929), qui, effectuant un trajet inverse, parvint à effectuer son tour du globe en soixante-treize jours. Leurs portraits respectifs figurent ci-dessous.

Image illustrative de l’article Nellie Bly 

Description de cette image, également commentée ci-après

Engagée à gauche, Séverine avait eu à subir un mariage forcé en 1871.

Le plus important, selon moi, est le lien entre Séverine et Jules Vallès, qu'elle rencontra en 1879, proscrit de la Commune, peu de temps avant l'amnistie des communards en 1880. Avec lui, elle relance Le Cri du Peuple, éphémère journal paru en 1871 et permet l'avancée du roman L'Insurgé. A la tête du Cri du Peuple, Séverine sera la première femme à diriger un journal. Pour rappel, Juliette Adam (1836-1936), soutint aussi Vallès : elle fonda La Nouvelle Revue en 1879, républicaine, et y fit paraître en août-septembre 1882 une première version de ce Vingtras III. J'ai déjà raconté tout cela en ce même blog dans mon article consacré l'an passé à L'Insurgé.














Au final, ce fut bien Séverine qui permit l'aboutissement du roman et sa transmission tel que nous le connaissons. Séverine signa d'abord ses articles Séverin, avant d'enfin féminiser son nom : l'on voit là une résistance à la société masculine. A la mort de Vallès, en 1885, elle fut seule à la tête du Cri du Peuple. Cependant, un désaccord idéologique avec Jules Guesde, premier marxiste français, la font quitter ce journal en 1888.














 

C'est alors que les ambiguïtés commencent : sans doute l'indépendance revendiquée de Séverine la fit parfois se fourvoyer : ainsi, elles soutint le général Boulanger tout en ayant une relation critiquée avec son confrère Georges de Labruyère. 















 

On aurait voulu qu'elle fût plus regardante, au lieu de vulgairement "manger à tous les râteliers". Non contente de signer parfois des textes dans des journaux conservateurs comme Le Gaulois et Gil Blas, son antiparlementarisme la conduisit à se compromettre avec l'antisémite Edouard Drumont en collaborant à La Libre Parole. Elle s'y laisse hélas aller à des remarques d'un antisémitisme répugnant. 

Séverine partage la part d'ombre et la part de lumière : elle défendit les femmes ayant recours à l'avortement et lutta pour que toutes les femmes obtinssent le droit de vote ! Elle appartint au mouvement des suffragettes françaises aux côtés de Marguerite Durand, participant en tête, avec elle à la manifestation de 1905 qui réunit 6000 femmes revendiquant le droit de vote. Il fallut attendre la Libération pour qu'elles aient gain de cause, et l'on sait que le Sénat constituait un frein notoire au suffrage féminin, qui aurait pu être instauré dès le Front populaire. 

Marguerite Durand par Jules Cayron.jpg 

Il est amusant de savoir que marguerite Durand, journaliste comme Séverine, ancienne actrice, fut aussi une déçue du boulangisme. Rebelote en juillet 1914 face au nouveau gouvernement Viviani, mais la manifestation féministe ne compta que 2400 personnes, et la guerre fut un frein au mouvement.

 Manifestation des suffragettes, en présence de Séverine, en tête du cortège.

Evoluant toujours plus vers la gauche, Séverine fut pacifiste durant la Grande Guerre, soutint la Révolution russe, adhéra à la SFIO puis au parti communiste. Elle fut membre du Cercle de la Russie neuve, fondé en 1927-28, groupe d'intellectuels qui souhaitaient approfondir leur connaissance du marxisme. A la fin de sa vie, elle s'inquiéta de la montée du fascisme.

Séverine est décédée à Pierrefonds, le 24 avril 1929. Ses obsèques, le 29 avril, furent suivies par plus de deux mille personnes.

Obsèques de Sévérine à Pierrefonds, le 29 avril 1929. 

Le nom de Séverine mérite de survivre, et l'on peut lui pardonner quelques errements des années 1880-1890. 

Prochainement : retour au café littéraire avec Âme brisée, d'Akira Mizubayashi.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/32/Akira_mizubayashi_1007471.jpg

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire