mardi 9 octobre 2012

Les momies de la tour Saint-Michel de Bordeaux : un souvenir macabre et baroque de Victor Hugo.



Où Victor Hugo s’oppose à Aurore-Marie de Saint-Aubain.

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 Dieu donne aux morts les biens réels, les vrais royaumes.
Vivants ! vous êtes des fantômes ;
C’est nous qui sommes les vivants ! -
Victor Hugo, « Les Contemplations » : « Quia pulvis es »

Les morts n’ont d’autre tombe que le vivant.
Prosper Enfantin

Extraits :

Dans Choses vues, en l’année 1843, Victor Hugo se remémore la visite morbide qu’il effectua à la tour Saint-Michel de Bordeaux, où, depuis la Révolution française, étaient exposées, en un curieux musée-charnier, les momies naturelles exhumées du cimetière Saint-Michel, dont les tombes avaient été profanées par les révolutionnaires comme celles des rois de France à la basilique de Saint-Denis le 14 octobre 1793.
Cette exposition obituaire et macabre perdura jusqu’à environ 1979, date à laquelle, trop dégradées, les dépouilles, objets d’une fascination certaine et malsaine des visiteurs, amateurs d’émotions fortes, furent enlevées. On ne conserva d’elles qu’une évocation symbolique, un rappel de leur ancienne présence et rémanence funèbre.


« (…) Pour qui regarde ces débris humains avec l’œil de la chair, rien n’est plus hideux. Des linceuls en haillons les cachent à peine. Les côtes apparaissent à nu à travers les diaphragmes déchirés ; les dents sont jaunes, les ongles noirs, les cheveux rares et crépus ; la peau est une basane fauve qui sécrète une poussière grisâtre ; les muscles, qui ont perdu toute saillie, les viscères et les intestins se résolvent en une sorte de filasse roussâtre d’où pendent d’horribles fils que dévide silencieusement dans ces ténèbres l’invisible quenouille de la mort. Au fond du ventre ouvert, on aperçoit la colonne vertébrale.
- Monsieur, me disait l’homme, comme ils sont bien conservés !
Pour qui regarde cela avec l’œil de l’esprit, rien n’est plus formidable (…)
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 Je regardais avec une sorte de vertige cette ronde qui m’environnait, immobile et convulsive à la fois. Les uns laissent pendre leurs bras, les autres les tordent ; quelques uns joignent les mains. Il est certain qu’une expression de terreur et d’angoisse est sur toutes ces faces qui ont vu l’intérieur de ce sépulcre. De quelque façon que le tombeau le traite, le corps des morts est terrible.
  Pour moi, comme vous avez déjà pu l’entrevoir, ce n’étaient pas des momies ; c’étaient des fantômes. Je voyais toutes ces têtes tournées les unes vers les autres, toutes ces oreilles qui paraissent écouter penchées vers toutes ces bouches qui paraissent chuchoter, et il me semblait que ces morts arrachés à la terre et condamnés à la durée vivaient dans cette nuit d’une vie affreuse et éternelle, qu’ils se parlaient dans la brume épaisse de leur cachot, qu’ils se racontaient les sombres aventures de l’âme dans la tombe et qu’ils se disaient tout bas des choses inexprimables.
  Quels effrayants dialogues ! que peuvent-ils se dire ? O gouffres où se perd la pensée ! Ils savent ce qu’il y a derrière la vie. Ils connaissent le secret du voyage. Ils ont doublé le promontoire (…) »

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Ceci pour l’expression romantique de la fascination pour la mort et les dépouilles humaines.
Qu’en fut-il parmi les décadents fin-de-siècle ? Le baroquisme s’y exacerba davantage, aboutissant à un esthétisme absolu et fantasque, gratuit dirais-je, toujours plus lié au surnaturel et à la folie.
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Pour ne point faire la fine bouche, chers lecteurs et lectrices, je n’ai pu résister à la tentation de vous proposer, à titre de comparaison avec Victor Hugo, deux extraits du sulfureux roman d’Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894), écrit en 1890, Le Trottin.
D’abord le chapitre XXI, lorsque se rencontrent, à l’école vétérinaire d’Alfort, en un conciliabule secret, Elémir de la Bonnemaison et la vicomtesse de **, amis de Cléore de Cresseville, héroïne de ce peu recommandable ouvrage, au milieu des momies d’écorchés d’Honoré Fragonard.

(…) Tout comme Elémir, avec Le Gaulois, la vicomtesse avait été informée par la presse de l’arrestation de Dagobert-Pierre. Le Supplément illustré du petit Journal était allé jusqu’à commettre l’impair d’un dessin approximatif représentant cet épisode lamentable. Cependant, tous deux ne cessaient de s’étonner de l’absence de réaction de la comtesse de Cresseville. C’était à croire qu’elle s’était coupée totalement du monde, recluse dans la casemate de l’Institution pour des raisons qui échappaient à ses amis. Elémir prévint Madame par téléphone : il avait envoyé un télégramme tantôt à Cléore, au sujet de l’arrestation, et celle-ci n’avait toujours pas donné signe de vie, comme si le message ne lui était pas parvenu. Ils convinrent tous deux d’un rendez-vous, en un lieu où nul n’irait les importuner, afin de décider quoi faire. Elémir, dont nous connaissons les goûts morbides, choisit l’Ecole Vétérinaire d’Alfort, où l’on avait récupéré et installé les célèbres momies d’écorchés anatomiques d’Honoré Fragonard, dont notre décadent marquis regrettait qu’elles ne comptassent point parmi les pièces remarquables de sa turbide collection. Il eût désiré acquérir en sus le moulage de la Vénus hottentote, si c’eût été possible. L’entrevue eut donc lieu en ce cabinet des collections du siècle affreux et honni des philosophes, que se targuait de posséder l’illustre école créée par Bourgelat, héritier de la grande tradition des maréchaux équestres, dont les connaissances en physiologie des chevaux laissaient de fait à désirer. Ces locaux, assez exigus et disparates, étaient réservés aux seuls professionnels de santé et aux hôtes de marque et de prestige, qui en sollicitaient la demande de visite. Ils traînaient une réputation de hantise et de diaphorèse de peur, parce que les âmes animales et humaines de tous les spécimens exposés y erraient encore, hantant ces salles insignes.
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  C’était un capharnaüm conséquent, un entassement pêle-mêle de pièces pathologiques animales, de monstres et de préparations humaines d’Honoré Fragonard aux secrets de conservation bien préservés, quoiqu’on les délaissât de nos jours. Madame se gardait de renauder, de renâcler, au spectacle de l’exposition de ces saletés augustes, bien qu’en son for intérieur, elle en restât pantoise. Elle ne pouvait cependant empêcher çà et là, quelques pincements fugitifs des narines et des lèvres, à cause du musc et des effluves que dégageaient toutes ces ordures et dépouilles scientifiques, dont fourrures et tissus paraissaient suinter d’une solution oléifiante destinée sans doute à les prémunir contre les insectes et la putréfaction. Leur fragrance avait la fadeur d’un mauvais vin suri, d’un reginglard infect stagnant en dépôt au fond d’une vieille barrique. Deux trois fois, Madame porta à son nez son mouchoir en dentelles de Bruges. Elémir avait choisi de la mener jusqu’au saint des saints, au tabernacle et au naos, là où s’amoncelaient, sans classement aucun, les cadavres d’Honoré Fragonard.
  Il s’agissait de mannequins humains disséqués, encaustiqués de chairs roidies. Tout en découpures, compartimentés de viscères, d’artères, de veines et de fressures aux coloris artificiels ternis, bleus, rouges, injectés encore liquescents dans les cadavres par quelque mystérieux clystère via le tissu conjonctif et le réseau circulatoire, ces spécimens anatomiques de démonstration jouaient leurs saynètes bibliques au milieu des regards indiscrets de veaux empaillés à la face écrasée de bulldogs, de poules à cinq pattes, de chats et de moutons cyclopes immergés dans leurs flacons d’alcool d’un jaunâtre pisseux. C’étaient Samson grimaçant avec sa mâchoire d’âne, le cavalier de l’Apocalypse, effrayant, monté sur sa momie de cheval dépouillé à la musculature durcie, en lambeaux ciselés tout en orfèvreries, un buste d’on ne savait quel personnage, à vif, sorte de gravure de Vésale en trois dimensions qui révélait tous les secrets de la mobilité de la face. Le cavalier lui-même paraissait ne constituer plus qu’un seul être avec sa monture, monstre bicéphale anatomique, centaure d’une métope parthénopéenne ionique de la Grande Grèce archaïque qui s’apprêtait pour un combat nouveau, contre quelque créature fabuleuse, triton, Lapithe, hécatonchire ou autre. Des yeux de verre avaient été enchâssés à tous ces écorchés, et leurs orbites prétendant au réalisme brillaient d’une expression farouche, résolue, comme si tous ces êtres tirés de leur potence ou de leur morgue eussent encore été vivants et eussent voulu, depuis leur outre-tombe, clamer vengeance contre leurs frères vivants. Parmi eux, des fœtus humains naturalisés et des cynocéphales, ouverts, sans peau aucune, toute leur physiologie obscène dévoilée comme le corps d’une catin grasse et blonde, dansaient une ronde de lutins, de farfadets de la nuit, qui se transformait à la lueur incertaine d’une lampe à gaz en saltarelle de créatures d’un au-delà maléfique. Elémir, qui avait été maître du choix du rendez-vous, attaqua :
« Je me meurs d’anxiété au sujet de Cléore. Elle n’a pas accusé réception de mon télégramme d’alerte. »
  Madame la vicomtesse réfléchit à deux fois avant de proposer une réponse à demi rassurante.
« Cléore est encore malade. Une mauvaise grippe doit la clouer au lit. J’ai jà mandé un médecin tantôt, puis-je vous le rappeler. Sa poitrine est devenue bien fragile. Elle suit un traitement contre la phtisie. C’est grand malheur pour une si jeune et si exquise femme !
- Mais, dans ce cas, Sarah aurait dû nous en informer. Tout cela est bien étrange, que dis-je, fort déroutant. »
  La maîtresse anandryne parut tout émotionnée.
« Quelque chose de fâcheux est arrivé. Moesta et Errabunda court un danger mortel. La prolongation plus que probable de l’accès maladif de Mademoiselle de Cresseville n’est pas sans motif. L’arrestation de Monsieur de Tourreil de Valpinçon implique un resserrement de l’étau policier. Hier, j’ai croisé deux sergents de ville près de mon hôtel particulier. J’ai dû entrer par la porte de service. Ils surveillaient les lieux, j’y mettrais ma main au feu.
- Que me révélez-vous, Madame ? s’effaroucha le marquis de la Bonnemaison. Nous serions épiés, surveillés ! »
 
  Elémir ne parvint pas à réfréner des tremblements de mains d’un fumeur d’opium en manque de son vice, mais ceux-ci paraissaient davantage suscités par l’effroi engendré par la présence des cadavres écorcés, d’une teinte de litharge, qu’à cause de la crainte d’une arrestation de la vicomtesse. Afin de se donner meilleure contenance, il osa allumer un Trichinopoly, faisant fi des chairs mortes traitées éminemment combustibles. Tout en tirant des bouffées de ce poison, il lissa ses moustaches frisées d’éphèbe efféminé usé par ses excès de débauche sous l’œil goguenard hyalin et mort de ces cadavres confits d’Honoré Fragonard. On s’attendait à ce qu’un bitume noir exsudât de leurs bouches sardoniques au rictus putrescent. Elémir réfléchissait, songeur. Puis, lorsqu’il eut décision prise, il jeta, comme pour moquer la prétention morbide des momies :
« Je me rendrai en personne à Château-Thierry, dussé-je y laisser des plumes, ou pis, ma liberté. » (…)

Second extrait du Trottin (chapitre XXIII) : l’errance de Cléore de Cresseville, en fuite, dans un souterrain servant d’étrange catacombe à des momies de moines qui sont non sans rappeler les Capucins de Palerme auxquels il est d’ailleurs fait référence. Mais ici, la mise en scène apparaît trop explicite pour que l’héroïne croie longtemps à l’authenticité de cette nécropole.

(…) Alors, Cléore pressa le pas et s’alla[1] résolument dans le couloir. Les halos de son luminaire balayaient chaque paroi, à la recherche éventuelle d’un nouveau piège. L’air devenait vicié, fétide, méphitique, non seulement à cause de sa prégnance humide, de ses relents de moisissure et de blettissure, mais du fait qu’il ne faisait plus aucun doute au nez de Mademoiselle qu’en cet endroit, des organismes morts s’altéraient, se putréfiaient par places. Cléore, un bref instant, émit un glapissement d’effroi : la lampe venait furtivement de dévoiler une face de squelette couverte d’un capuce à laquelle adhéraient encore des plaques de chairs racornies et calcifiées. Son cœur battit à se rompre ; elle toussa et cracha un peu de sang. Elle crut suffoquer. Parvenant à se reprendre, Mademoiselle de Cresseville s’obligea à poursuivre son chemin, quelle que fût la terreur enfantine qu’elle devait affronter, terreur évocatrice de la mort et de la décomposition dans ses œuvres splendides. Plus elle marchait, davantage les dépouilles se multipliaient, lovées dans des sortes de niches. C’était une crypte, non, une nécropole de moines de divers ordres, capucins, théatins, jacobins, ignorantins, bénédictins, servites, augustins, dominicains, dont les frocs se marouflaient et se gaufraient de pourriture. Quelques uns paraissaient englués dans des fientes de chiroptères, d’autres étaient recouverts de concrétions calcaires auxquelles s’ajoutaient des lambeaux de toiles d’araignées. Leurs robes monacales paraissaient frangées de mycélium.  Il y en avait des centaines en ces lieux, en cette catacombe où il semblait à Cléore que les dernières survivances du christianisme s’étaient assemblées en cet antre occulte, dédaléen, afin d’achever de s’y éteindre en paix. Des scolopendres chlorotiques, souterraines, dépigmentées, rampaient indécemment sur les bures effiloquées et guenilleuses des frères convers. Ils exhalaient leurs fumets de chairs roidies, racornies, gâtées, solidifiées, de momies confites dans l’humidité. 
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  Cléore vit que la galerie allait s’élargissant ; elle finit par déboucher en une immense salle basilicale, creusée en tous ses murs de démentielles absides et absidioles qui formaient autant d’alvéoles où reposaient, en position fœtale, ces moines momifiés qui n’avaient rien à envier à ceux du Thibet et de Cipangu[2]. La comtesse de Cresseville se crut victime d’un mirage, en proie à une peur invasive, à un fantasme de vanité du Grand Siècle. Elle pensa que tous ces cadavres avaient un message transcendantal à lui communiquer, qu’ils allaient ouvrir leurs bouches de squelettes afin d’énoncer une sentence la condamnant à mourir en leur effrayante compagnie. Elle songea alors qu’il s’agissait d’une vision de cauchemar, irréelle, d’un délire hallucinatoire causé par l’opium, le chloral ou le laudanum qu’elle absorbait pour mieux dormir et supporter ses tourments de syphilitique phtisique. Mademoiselle se moqua comme de colin-tampon de savoir la raison qui avait présidé à l’instauration de ce tombeau immense, au transport de toutes ces momies, condamnées à gîter en ces lieux isolés et repoussants, en cette dernière demeure, pour un nombre de siècles impossible à compter. Etait-ce un émule des cryptes palermitaines des capucins qui avait voulu transférer ici cette multitude afin qu’elle y trouvât un fort étrange repos morbide ? Cléore songea à quelque mise en scène digne d’Elémir ou de Madame, qui se complaisaient en leurs délires baroques. Après tout, il pouvait s’agir autant de frères authentiques que de cadavres déguisés récupérés dans de multiples morgues, métamorphosés en momies naturelles par la grâce de l’atmosphère particulière de cette pseudo basilique souterraine digne d’un décor de mauvais opéra ou de roman gothique anglais. Elle eût voulu circonvenir ces momies maléfiques, solliciter leur mansuétude, leur clémence, si elle avait été certaine de leur réalité. Mais il était indubitable que ce spectacle hallucinatoire allait trop loin, du fait que certains cadavres revêtaient un aspect simiesque. Les crânes polis aux mâchoires entrouvertes recelaient des restes de crocs ; ils ressemblaient davantage à ceux de papios, de babouins d’Egypte, voire de gorilles dont on avait écrêté la voûte sagittale. La décomposition des chairs suivie de la minéralisation de certaines de ces dépouilles leur avait conféré une apparence de fossiles d’une extrême ancienneté, comme s’il se fût agi d’une nécropole dédiée à quelque dieu singe d’il y avait des millions d’années, crypte où l’on eût célébré le culte indigète du Dryopithecus, ce primate sylvain des chênaies ou hêtraies de l’après Éocène, date on ne peut plus imprécise dans l’esprit de la comtesse de Cresseville, qui n’était point instruite en matière de découvertes de formes de vies antédiluviennes, elle que tout portait à réfuter Lamarck et Darwin. Il était de plus curieux que les orbites de ces crânes fossiles rongés fussent operculées par une résine noire, sans omettre de curieuses résilles pourries qui enveloppaient partiellement ces os hideux. Cléore n’avait pas envie de conjecturer sur son délire et d’attribuer un sens téléologique à ses fantasmes. (...)  
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On constate la divergence du style entre les deux auteurs, les descriptions davantage fantasmées et surchargées d’Aurore-Marie de Saint-Aubain, le vocabulaire plus maniéré et recherché, typique du mouvement décadent, l’aspect « dégénérescence du naturalisme » induit par cette auteure dans la foulée de son mentor Huysmans, alors que Victor Hugo, bien qu’il ne délaisse pas l’emphase et la fascination trouble, demeure plus simple dans son vocabulaire, courant, et dans son expression, plus direct dans l’émotion, artificieuse chez la poétesse et romancière de la fin du XIXe siècle. Aurore-Marie de Saint-Aubain se complait dans les détails imaginaires, dans l’excès, dans les références à l’antiquité, à la paléontologie, science nouvelle de son temps, à l’exotisme, à la médecine (elle descendait d’une famille de médecins et de physiologistes, les Lacroix-Laval). Elle insiste dans l’emploi d’un lexique évocateur de la putréfaction, de la pourriture (odeurs comprises) en héritière du Zola de Thérèse Raquin (souvenez-vous de Camille le noyé assassiné), de Baudelaire et de Huysmans. Victor Hugo s’intéresse davantage à l’humanité symbolisée par ces morts momifiés, à ses souffrances, à ce qui demeure de fondamentalement humain et vivant en eux par-delà le trépas. Il se veut à la fois philosophe et témoin  de son siècle voire de tous les siècles de l’Histoire qu’il embrasse pour les générations futures, nous laisse un message plus social, plus directement compréhensible et accessible à un lectorat populaire, plus universel au fond, alors qu’Aurore-Marie de Saint-Aubain s’adresse exclusivement à une élite lettrée et réactionnaire, une petite coterie adepte de l’art pour l’art. Il est amusant de rappeler qu’Hugo fut d’abord légitimiste avant d’évoluer vers la gauche. La poétesse, quant à elle, demeura fidèle à ses convictions conservatrices et monarchistes sa courte vie durant.






[1]    Construction verbale décadente typique, usitée aussi chez Joris-Karl Huysmans : s’alla pour s’en alla.
[2]    Fascinée par les civilisations d’Asie, Aurore-Marie de Saint-Aubain fait ici allusion aux bonzes tibétains et japonais auto-momifiés adeptes de Kukaï.

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