samedi 13 février 2021

Ces écrivains dont la France ne veut plus 34 : Lesage.

 














L'arbre n'est pas dangereux pour l'humanité ; c'est l'humanité qui constitue un danger pour l'arbre. (Maxime du philosophe écologiste inconnu).

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. (Jean de La Fontaine : Les animaux malades de la peste)

Commençons ce nouvel article par l'exposition d'anecdotes révélatrices. Il y a quelques années, la médiathèque de ma commune de résidence conservait en ses rayons en libre accès un roman que nul n'empruntait : Histoire de Gil Blas de Santillane, roman picaresque d'Alain-René Lesage. Désormais, il n'y figure plus. En moi, ce titre avait fait tilt, comme on dit familièrement. J'eus souvenance de vieilles coupures de magazines télé remontant à 1974, en lesquelles étaient imprimés les programmes de la toute première mouture de la troisième chaîne , encore à l'époque de l'ORTF. La notice de ce feuilleton oublié et invisible - il n'est pas le seul !- figure dans un site consacré à la télé des années 1970. Outre la confirmation qu'il s'agissait bien d'un feuilleton qui passait sur la 3 originelle, nous apprenons son découpage en treize épisodes de vingt-six minutes et son passage à l'antenne du lundi au vendredi entre 18h50 et 19h20, du 2 au 25 avril 1974... Autant dire que ce feuilleton, réalisé par Jean-Roger Cadet, dut passer inaperçu, sa diffusion coïncidant avec la mort du président Pompidou et les péripéties politiques électorales qui s'ensuivirent. Mises à part Marion Game et Brigitte Rouan, encore fort peu connue, la distribution aligne des acteurs qui ne disent désormais plus grand chose au public dont Gérard Giroudon dans le rôle titre. Ah si, j'oubliais Robert Vattier, l'ex Monsieur Brun de la partie de cartes de Marcel Pagnol, qui venait de briller dans le mythique et génial Voyageur des siècles trois ans auparavant. Le site dit que Robert Vattier fut l'adaptateur du roman. 

Autre anecdote, fort contrariante : à l'époque d'Ina premium, on trouvait la version filmée en 1968 de la pièce Turcaret. Bien que tournée en vidéo et non sur pellicule, cette version était en excellent état de conservation. Je la vis de justesse, le premier jour du premier confinement. Dès le lendemain, envolé Ina premium au profit de Madelen... Parti aussi Turcaret (définitivement ?). Ceci est une autre histoire, dont j'ai déjà parlé l'an passé... Désormais, pour voir Turcaret sur Internet, il faut accepter la version feuilletonnesque italienne en noir et blanc, disponible sur une chaîne YouTube transalpine. 















Alain-René Lesage naquit la même année que François Couperin, plus précisément le 8 mai 1668 à Sarzeau dans le Morbihan actuel. Comme Voltaire, il était fils de notaire. Comme Voltaire, il fut mis en pension chez les Jésuites. Comme Voltaire, il dut étudier le droit mais là s'arrête un peu la ressemblance des destinées (ou plutôt, des parcours tracés) car Lesage, qui lui aussi, voulait vivre de sa plume à défaut (financièrement parlant) de pouvoir exercer la profession d'avocat, se débattit dans la pauvreté laborieuse, le succès tardant à venir, les protections aussi. Enfin vint l'abbé de Lyonne, qui lui assura une pension annuelle de 600 livres. Après vint enfin le succès et son corollaire, la notoriété. Rien n'avait laissé présager la réussite littéraire et dramaturgique de Lesage lorsque Turcaret triompha en 1708. L'auteur avait déjà quarante ans. 

L'Histoire de Gil Blas de Santillane parut en plusieurs étapes. Se référant au roman picaresque sans toutefois se soumettre en entier à ses codes (ainsi, Gil Blas, contrairement au picaro espagnol de référence, connaît une ascension sociale certaine), Lesage divisa son grand oeuvre en douze livres dont la publication s'échelonna, par groupes, sur diverses années. Il y eut trois phases : 1715 pour la sortie des livres I à VI, 1724 pour les VII à IX et enfin 1735 pour les X à XII. Après maintes péripéties dont la longueur peut rebuter le lectorat contemporain désaccoutumé aux récits s'étirant à loisir, Gil Blas, qui à sa manière a observé et étudié la société (d'où l'occasion s'offrant à Lesage de dresser moult portraits corrosifs), finira pat épouser Dorothée, une noble désargentée (je ne puis écrire "décavée"). 


Si l'on dresse le bilan de la survivance contemporaine de Lesage au XXIe siècle (en se basant du critère de la disponibilité en poche de ses oeuvres, à condition d'avoir bien sûr affaire à un excellent libraire), seuls trois de ses textes surnagent encore, sil l'on adjoint la courte comédie en un acte Crispin rival de son maître, qui date de 1707. Le reste est difficile à se procurer. Cependant, au XIXe siècle, Lesage servait encore de référence littéraire : Alexandre Dumas ne consacra-t-il pas un court et méconnu roman en 1851 Un Gil Blas en Californie réédité tout récemment ?
De même, je ne peux passer sous silence le célèbre journal Gil Blas, quotidien fondé en 1879 par Auguste Dumont et disparu en 1940, dans lequel plusieurs plumes notoires excellèrent : Alfonse Allais, Barbey d'Aurevilly, Léon Bloy, Tristan Bernard, Georges Courteline, Claude Debussy, Guy de Maupassant, Jules Vallès, Maurice Leblanc, Octave Mirbeau, Séverine et bien sûr Emile Zola. Enfin, pourquoi ne pas rappeler que Lesage n'était pas un inconnu à l'étranger, puisque Charles Dickens en personne se réfère à Gil Blas de Santillane dans une de ses nouvelles portées sur les revenants, Capitaine Meurtre et le pacte avec le Diable on découvre le passage suivant :
"Jamais je ne me suis trouvé dans la cave des brigands où vivait Gil Blas ; pourtant j'y retourne souvent et j'y retrouve la fameuse trappe, toujours aussi lourde à soulever (...)" (Histoires de fantômes. Folio 2016. Traduction Isabelle Gadoin). Cet extrait fait allusion au chapitre III du livre premier de Gil Blas.

Prochainement : le cinquantenaire de la disparition de Fernandel intégralement occulté. 



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