samedi 10 mars 2018

Saint-Just 2017 : cette simple figure locale de la France périphérique.

Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle. On pourra persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie qu'on m'arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux. (Louis-Antoine de Saint-Just : préambule aux Fragments d'institutions républicaines)

La révolution est glacée, tous les principes sont affaiblis, il ne reste que des bonnets rouges portés par l'intrigue.
L'exercice de la terreur a blasé le crime comme les liqueurs fortes blasent le palais.
(Louis-Antoine de Saint-Just : Oeuvres complètes)

On ne peut point régner innocemment. (Louis-Antoine de Saint-Just : Discours sur le jugement de Louis XVI prononcé à la Convention nationale le 13 novembre 1792)

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L'on pense communément - eu égard à la caisse de résonance des médias, de la télévision à la Toile - que seules les personnalités d'extrême droite, comme Louis-Ferdinand Céline et Charles Maurras peuvent susciter l'exclusion explicite des commémorations nationales. Or, il existe une tendance à l'exclusion implicite de personnalités de l'autre camp, jugées trop anarchistes (Léo Ferré) ou irrévérencieuses (Octave Mirbeau). Certes, ces personnalités-là figurent bien dans l'ouvrage annuel officiel des commémorations, mais celui-ci n'a plus qu'une valeur indicative dans laquelle l'Etat ne puise qu'une infime fraction, et ne signifie plus grand-chose lorsque les événements et personnes y étant inscrits se trouvent restreints à des manifestations aux échos ténus, strictement locaux ou spécialisés, hors de toute couverture médiatique de vulgarisation intelligente. Louis-Antoine de Saint-Just appartient à cette catégorie d'exclus réduits au régional et au local, ou au colloque pointu, comme par exemple Diderot, Corneille D'Alembert ou Frédéric Mistral (au nord de la Provence, rien sur lui en 2014 ! ).
Saint-Just fait peur. Il dérange. Il est l'archange de la Terreur honnie. Saint-Just en 2017 n'intéressa donc que la Nièvre et l'Aisne, Decize où il naquit, Blérancourt où il vécut. Saint-Just, universel, se retrouve enkysté en un horizon étréci, un cadre géographique minuscule, situé en cette France périphérique étudiée par Christophe Guilluy. Excusez du peu, mais c'est une honte ! Même les Insoumis, si prompts à susciter le tintamarre, n'ont pas bronché ! 
Adonc, la mission des commémorations nationales propose ce qu'on pourrait commémorer en un recueil riche et touffu, et l'Elysée dispose, décide de ce qu'on doit commémorer vraiment, ainsi d'ailleurs que, parmi les autres pouvoirs décisionnels,  France Télévisions, Arte, la presse, les musées etc. A l'arrivée, gare à celles et ceux qui ne font pas consensus, qui sont soupçonnés appartenir (ou appartiennent) à des sphères politiques devenues infréquentables, d'extrême droite ou d'extrême gauche, à figurer telles des icônes rouges ou brunes, ou à venir d'être annexées à l'une de ces mêmes sphères après l'avancée des recherches historiques : ainsi en fut-il sans doute de Baudelaire, refusé en 2017, puisque classé désormais parmi la réaction à la Joseph de Maistre... 
A l'arrivée ne demeurent que les personnalités, au nombre fort réduit, faisant absolument consensus (j'allais ajouter parmi les bobos) : des commémorations lisses, conventionnelles, dépassionnées dirais-je, des commémorations Bisounours dignes des petits lapins à faveurs roses d'oncle Walt Disney (qui était proche du fascisme). 
Hors de la micro poignée des accepté(e)s (dont Barbara, qui, morte depuis moins d'un demi-siècle, n'aurait pas dû être officiellement et médiatiquement honorée, mais le mainstream dominant nous l'a imposée d'office après avoir voué Léo Ferré aux gémonies et à l'oubli intégral) les autres, tous les autres, se trouvent confinés au localisme le plus étroit, quel qu'eût été leur rayonnement international passé. 
D'ores et déjà, Claude Debussy,
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 par exemple, (j'y reviendrai prochainement) se trouve restreint à des manifestations diffuses, éparpillées entre France Musique (la seule institution culturelle ou presque à respecter la date anniversaire de décès du 25 mars), Saint-Germain-en-Laye (où il naquit en 1862), Tourcoing et Bordeaux (peut-être Claude de France, alias Monsieur Croche, est-il soupçonné d'ultra nationalisme et de racisme, parce qu'il commit d'une part Le Martyre de Saint-Sébastien en association avec Gabrielle d'Annunzio, parangon pour certains du pré-fascisme intellectuel, et qu'il composa d'autre part un morceau mineur que le CRAN pourrait considérer comme offensant et faire interdire définitivement de toute exécution, de toute diffusion sur les ondes et de tout enregistrement discographique sur notre territoire : Le petit nègre ?). Jules Verne, quant à lui, représentera toujours le paradoxe et l'exception de l'homme aux idées odieuses qu'en 2005 on sur-célébra tout de même... Nul en 2005 ne semblait avoir lu le superbe roman de René Reouven Voyage au centre du mystère (éditions Denoël 1995) qui dévoilait les quatre vérités sur le vénérable écrivain barbu déifié à l'excès... Jules Verne pue le racisme, l'antisémitisme et le nationalisme... Jules Verne, seul écrivain ancien qu'il eût fallu exclure de toute commémoration, alors qu'on oublia Diderot sauf à Langres ou en d'autres bourgades à Tuches ou à Ch'tis.

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Quid de Saint-Just, ce citoyen d'à peine Decize et Blérancourt, (assurément des trous perdus pour le bobo germanopratin gavé de musique commerciale post-moderne) dont l'oeuvre politique, réputée non-durable, est sciemment gommée ? 

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On ne peut réduire Saint-Just à ce conventionnel montagnard, ce bras droit de Robespierre, ce régicide, ce représentant en mission, ce membre du Comité de Salut public foncièrement haï du Paris et du pouvoir central contemporains qui gomment la quasi intégralité des figures historiques troublant l'ordre consensuel mou libéral-libertaire. Si cet homme politique précoce avait servi de porte-étendard à mai-68, on ne l'aurait pas escamoté en 2017... Saint-Just, précurseur glacial des totalitarismes rouges les plus sanglants ?  Pour moi, c'est le Saint-Just rapporteur de la loi du 8 ventôse an II qui importe le plus. C'est ce Saint-Just là, le Saint-Just social, qui aurait dû survivre. 
Il y eut deux décrets de ventôse : celui du 8 ventôse an II (26 février 1794) suivi de celui du 13 ventôse an II (3 mars 1794). Tous deux obéissaient à un principe de redistribution de type révolutionnaire. Il s'agissait d'une part de mettre en liberté les patriotes incarcérés et sous séquestre les biens des suspects, et d'autre part de procéder au double recensement des patriotes indigents et des détenus pour cause politique. En faisant procéder à la confiscation des biens des ennemis de la République, Saint-Just espérait la redistribution massive des fortunes. La politique sociale des Montagnards ne put aboutir du fait de l'accélération des événements ayant conduit au 9-Thermidor. Toujours est-il que Saint-Just avait espéré couper l'herbe sous les pieds des Enragés hébertistes, éliminés peu après. Dans son discours, il avait déclaré : 
" Les biens des conspirateurs sont là pour les malheureux. Les malheureux sont les puissants de la terre." 
Bien que pouvant annoncer par certains aspects le marxisme, cette politique rappelle surtout les tentatives de réforme des Gracques au IIe siècle avant notre ère. Tribun de la plèbe en 133 avant J.-C., Tiberius Gracchus  souhaitait la limitation du droit de possessio individuelle et la redistribution des terres aux pauvres. Gaius Gracchus son frère, à son tour tribun de la plèbe en - 124, reprit l'idée de cette réforme agraire en plus de la création d'une colonie de peuplement de 6000 hommes sur le site de Carthage. Les Gracques périrent dans la violence, trop hardis pour leur temps. Mais les acteurs de la Révolution française étaient imprégnés d'histoire romaine, et les références à la République de Rome n'ont jamais manqué chez eux. 

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Réduire la Terreur au duo Robespierre-Saint-Just ou aux guerres de Vendée est commode. Parmi les thermidoriens, peu étaient des innocents aux mains blanches. Fouché, si célèbre, est autant coupable que d'autres Montagnards. Ne fut-il pas surnommé le mitrailleur de Lyon, lorsqu'il réprima les fédéralistes ? Quant à Saint-Just, dans la Comtesse de Charny, notre grand Alexandre Dumas rapporte une phrase de Danton à l'adresse de notre personnage, citation rapportée par Camille Desmoulins : "Tu portes ta tête comme un saint-sacrement."
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Ainsi, la ténacité des légendes noires explique pourquoi Saint-Just demeure nationalement persona non grata, d'où ces ridicules manifestations de confinements locaux, à Decize, aux Forges royales de Guérigny, à Blérancourt ou à Soissons, ces manifestations s'étant échelonnées de juin à décembre 2017 dans le silence national optimal que l'on sait, comme s'il s'agissait de micro-rassemblements groupusculaires nostalgiques d'on ne sait trop quoi de rouge ou brun...
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 A noter qu'à Paris, se produisit tout de même un petit quelque chose, mini événement ignoré bien sûr, organisé par les Amis de Robespierre (oui, il y en a !) en l'anniversaire du 10 thermidor an II avec une visite de la Conciergerie et même une cérémonie au Panthéon (non, il n'est pas question de panthéoniser Saint-Just, puisque l'Etat n'a pas été fichu de le faire pour des personnalités bien moins "sanglantes" comme Berlioz, Diderot, Marc Bloch, Mendès France ou Maurice Genevoix). Si encore les célébrations localisées lilliputiennes s'étaient cantonnées au seul Saint-Just ! Non, elles deviennent monnaie courante pour ce qui ne plaît plus à Paris. Ainsi viens-je d'apprendre que Marcel Aymé, prévu lui aussi originellement dans les commémorations officielles 2017 pour le cinquantenaire de sa mort, fut aussi totalement oublié de nos élus nationaux et a-médias ! Il est vrai qu'être un anar de droite ambivalent, ce n'est pas commode... 
La multiplication des non-hommages nationaux permet de prendre la température de la putréfaction culturelle contemporaine. De fait, le thermomètre n'a pas la fièvre... il est proprement congelé à moins dix- moins quinze ! En cette glaciation généralisée, d'autres "prévus" pour cette fois-ci 2018 ont du souci à se faire : Edmond Rostand,
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 Gounod, Claudel ou Chateaubriand, tous évacués depuis longtemps de l'actualité et de la pensée dite contemporaine... 

Prochainement : commémoration du centenaire de la mort de Claude Debussy 2018 : Entrée Libre, Actes Sud et France Musique seuls (pour l'instant ?).

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