dimanche 2 juillet 2017

"Le Chemin du Diable" de Jean-Pierre Ohl : un roman oublié par la critique officielle.

C'était en l'an 2008. Conquis par l'excellente critique que Le Monde des Livres venait de consacrer au dernier roman de Jean-Pierre Ohl Les Maîtres de Glenmarkie, je m'empressai de l'acquérir auprès de mon libraire de proximité. 2008... Le Monde des Livres possédait encore à cette date des lambeaux de sa splendeur passée. Permettez-moi ainsi de paraphraser Jean Topart en Sir Williams dans le jouissif feuilleton mythique des années 1960 Rocambole, réalisé par Jean-Pierre Decourt. Sir Williams prononçait cette phrase à l'occasion de retrouvailles avec son ancienne âme damnée Monsieur de Beaupréau (interprétation tout aussi géniale et inoubliable de René Clermont). 
J'appris à l'occasion que Jean-Pierre Ohl exerçait le métier de libraire dans la région bordelaise (qui me vit naître). Les Maîtres de Glenmarkie, hommage au Maître de Ballantrea  de Robert-Louis Stevenson, suivait de quelques années Monsieur Dick ou le dixième livre, enthousiasmante quête autour de l'ultime roman inachevé de Dickens, Le Mystère d'Edwin Drood dont plusieurs dénouements ont été proposés au fil des années.
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Jean-Pierre Ohl, pensais-je, appartenait à ce groupe d'auteurs prestigieux et imaginatifs ayant l'honneur d'être publiés dans la collection blanche de Gallimard. Nous étions avant l'affaire Opéra anatomique  de Maja Brick (2012), ouvrage totalement occulté - à l'exception de la radio, événement symptomatique de l'accélération de la décadence et de l'exclusion systématique bourdieusienne touchant la culture "antérieure".
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Ainsi, en 2017, presque seul François Angelier, spécialiste de la littérature fantastique, remarqua et critiqua (élogieusement) le dernier opus à ce jour de Monsieur Ohl  Le Chemin du Diable dans son émission radio Les Emois, sur France Culture... L'Histoire bégaierait-elle ?
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Vous pourrez effectuer de longues et vaines recherches dans Le Figaro littéraire, Le Monde des Livres, Télérama, Lire et Le Magazine littéraire : ces cinq représentants "incontournables" et "institués" de la critique littéraire française ont, semble-t-il, boudé le formidable roman historico-gothique et policier de Jean-Pierre Ohl. Lorsque j'achetai ledit livre en avril dernier, à la FNAC de Marseille où j'étais en villégiature, quelque chose m'alarma d'emblée : le bouquin ne se trouvait nullement au rayon nouveautés mais déjà sur les étagères ! Y aurait-il eu sabotage délibéré du Chemin du Diable ?
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Par contre, Libération, qu'on n'attend pas toujours dans ce genre de registre culturel, a recelé une fois de plus, après des articles remarqués sur l'expo de Lens consacrée aux frères Le Nain, ou, plus anciennement, sur celle que le musée d'Orsay consacra en 2013 à la sculptrice légitimiste Félicie de Fauveau, une bonne surprise en publiant, disponible en ligne, un article de Jean-Didier Wagneur, daté du 21 avril dernier, consacré aux deux frères Ohl et au Chemin du Diable : Michel et Jen-Pierre Ohl, frères d'encre. Soit les autres organes de presse précités souffrent de cécité intellectuelle, soit leur silence vaut mépris implicite. Une fois de plus, il est scandaleux de constater qu'au moins un quart des romans pourtant édités dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard passent sous l'éteignoir absurde de l'ignorance délibérée. Cette "flemme" culturelle est cependant facile à corriger, à amender : Libé nous le prouve bien et point n'est besoin d'être un organe de presse, de papier ou en ligne appartenant à la mouvance droitière ou facho pour s'intéresser à des objets littéraires ou artistiques singuliers se réclamant du passé antérieur et non du présentisme immédiat. Arte, qui proclame haut et fort dans un récent article du Monde paru en début de semaine dernière à propos de sa politique documentaire son refus de se référer à  tout récit national commet une lourde erreur : c'est abandonner ce même récit à la seule parole, au seul discours, au seul verbe, à la seule réécriture de l'extrême droite alors qu'un récit national de gauche a existé, révolutionnaire, jacobin, communard, ou tout simplement républicain avec Michelet et Dumas, sans omettre le CNR qui lutta contre la pétainisation de l'Histoire et, plus près de nous, des historiens prestigieux comme Henri Guillemin et Michel Vovelle, grand spécialiste de la Révolution française et des mentalités. Les niches écologiques laissées vacantes finissent toujours par être occupées, parfois par les nuisibles... C'est au contraire en se réappropriant ce même récit national au lieu de l'abandonner lâchement au péril brun, en en fournissant une relecture démocratique, républicaine, égalitaire, que l'on pourra gagner la bataille des idées. L'une des erreurs les plus graves commises par le précédent président de la République demeurera à mon sens la non panthéonisation de Diderot, personnage emblématique des Lumières. Or, l'on sait ce que la réaction (Burke, De Maistre, Bonald) pensait de la philosophie des Lumières et de la Révolution... Fermons cette parenthèse nécessaire et revenons au Chemin du Diable.
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Cet ouvrage détonnant, dont l'action se situe en 1824, met en scène, à côté de légions de personnages imaginaires et truculents, un Charles Dickens adolescent et George Stephenson, un des pères de la locomotive. Je vous invite à écouter sur le site de France Culture le document audio de quatre minutes de François Angelier, de l'émission Les Emois  du 11 avril 2017 :
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"Le Chemin du diable" ou l'Albion tragique et gothique de Jean-Pierre Ohl.

 En un roman dicksensien, Jean-Pierre Ohl dépeint subtilement, sur fond de sortilèges gothiques, le passage de l'Angleterre à l'ère industrielle. 

 Jean-Pierre Ohl marche à Dickens comme les rois mages à l'étoile, confiant et ébloui. Ayant déjà consacré au romancier anglais un fantaisie énigmatique et érudite (Monsieur Dick ou le dixième livre, La Table ronde), ainsi qu'une biographie dans la collection Folio, il pique des deux avec Le Chemin du diable et se lance sur l'obstacle comme un landlord traquant le renard. Avec ce nouveau roman foisonnant et inquiétant, évoquant également les sortilèges théâtraux du roman gothique et les visions millénaristes des sectes anglaises, il nous expose les profondes mutations sociales et technologiques qui sonnèrent l'heure sombre de la Révolution industrielle anglaise : travail des enfants, labeur épuisant de la mine, enrichissement de la bourgeoisie d'affaires. A la fois roman historique et hommage littéraire, une grande réussite. (éditions Gallimard)


Tel est le résumé critique de François Angelier que France Culture met à notre disposition. Il a adoré ce bouquin nous changeant du nombril ordinaire de nos Paul(e) Bourge(tte) actuel(le)s. L'autre scandale autour de Jean-Pierre Ohl consiste en la non parution chez Folio de ses romans Gallimard sous format de poche, au point que notre écrivain virtuose et séduisant a dû recycler dans la collection "la petite vermillon" de la Table Ronde son fameux Monsieur Dick ou le dixième Livre. Mais il me semble bien avoir évoqué ce problème dans un billet passé... Bref, je vous encourage toutes et tous, lectrices et lecteurs, à goûter à la prose détonante et enrichissante de Jean-Pierre Ohl. Nul ne le regrettera !

Prochainement
: Dapper et d'autres : les musées parisiens meurent aussi.

 
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