vendredi 7 octobre 2016

Ces écrivains dont la France ne veut plus 14 : Frédéric Mistral.

Grand soulèu de la Prouvènço
Gai coumpaire dou mistrau,
Tu qu'escoules la Durènço
Coume un flot de vin de Crau,

Fai lusi toun blound calèu!
Coucho l'oumbro emai li flèu!
    Lèu! lèu! lèu!
Fai te vèire, bèu soulèu!

 (Frédéric Mistral : Lou cant dou soulèu  extrait du début 1861)

Frédéric Mistral (1830-1914),
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 représente, avant Gao Xingjiang,
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 le seul des 15 prix Nobel de littérature français dont l'oeuvre écrite le fut dans une autre langue bien que la partie dramaturgique des textes de Gao Xingjiang utilise le français. Je puis déplorer en ce blog l'absence de nobélisation d'auteurs nationaux s'exprimant en breton, alsacien, corse, occitan et surtout créole. A quand un prix Nobel de littérature antillais ou réunionnais ? Pour beaucoup de gens, Frédéric Mistral (ô, image réductrice, ô poncif !), c'est une barbiche, une lavallière et un chapeau.
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La preuve du rejet implicite contemporain de Frédéric Mistral réside en de bien discrètes célébrations du centenaire de sa mort, en l'an 2014. Sans doute les raisons en sont-elles, une fois de plus, une fois de trop, éminemment politiques, cette négligence étant mâtinée de médiocrité culturelle, de désintérêt croissant pour tout ce qui n'est pas assez récent et branché. Fait déterminant  : l'une des rares expositions (assez sommaire) consacrées voici deux ans à Mistral se tint en une cité méridionale "princière" fort connue pour ses attachements ligueurs et la persistance de ses édiles depuis 1995. Autre fait trahissant que Mistral est quasiment persona non grata : la rénovation du Museon arlaten,
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 fondé par le poète félibre provençal, qui traîne en longueur (il aurait dû ouvrir l'an prochain, mais les travaux...viennent à peine d'être autorisés !). Tout cela s'inscrit dans le contexte que l'on sait, lamentable, en corrélation avec l'affaire des ATP du Mucem au fort Saint-Jean, pièces essentiellement d'histoire des mentalités qui sans doute ne seront jamais exposées (seul le président de la République vit ces collections lorsqu'il inaugura le musée en juin 2013, avant qu'elles ne fussent fermées au public et retirées pour cause d'infiltrations d'eau dans les salles prévues pour leur mise en valeur). 

Bref, ni les ATP, ni l'Occitanie, n'ont bonne presse chez les pouvoirs publics encore assez jacobins et frileux et Frédéric Mistral apparaît comme une victime par ricochet, rejoignant le champ de ruines de l'obsolescence du défunt musée de Georges Henri Rivière dont la carcasse pourrit au Bois de Boulogne depuis douze ans. Il est une pensée sous-jacente lourde de sens, exprimée par la réduction de Mistral en 2014 à l'expo de la ville que je nommerai symboliquement Arausiostadt. Nous nous trouvons confrontés à un procès d'intention implicite : Mistral, la langue provençale, les ATP du Midi et d'ailleurs, c'est völkisch, c'est blubo... c'est crypto-pétainiste, néo nazi et proche de la sensibilité des sectateurs bleu Marine. Mistral, écrivain surfait, monarchiste et pré-fasciste ! Souvenez-vous, lectrices et lecteurs, comme preuve supplémentaire de de refus de Mistral, du scandale médiatique et culturel suscité par la bien-pensance bobo chébran, au sujet de la mise en scène dite et réputée "d'arrière-garde", de l'opéra de Gounod Mireille par Nicolas Joël lors de sa reprise à l'Opéra de Paris en 2009 ! C'était comme affirmer parmi les néo réacs que j'exècre que William Bouguereau fut un grand peintre moderne ! Il s'agissait-là d'un crime culturel de lèse-modernité, mon bon monsieur et ma bonne dame !
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Quid dans tout cela de Frédéric Mistral, de l'homme et de l'oeuvre ? Pourquoi le félibrige manqua-t-il singulièrement de ferveur républicaine ?  Savez-vous qu'il exista une municipalité communiste provençale qui, en l'école primaire, dans les années 1970, ne dénigrait pas et ne refusait pas le legs culturel mistralien ? Désormais, au XXIe siècle, en dehors de petits cercles ultraconservateurs et de "sachants" de la langue provençale, qui lit encore Mistral dans le texte comme dans sa traduction d'oïl ? L'acte de naissance de lou Felibrige (selon la graphie mistralienne depuis remise en cause) se situe à Châteauneuf-de-Gadagne, au château de Font-Ségugne, le 21 mai 1854, jour de la sainte Estelle. Le mouvement se compose alors de sept poètes provençaux : Frédéric Mistral, Joseph Roumanille,
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Théodore Aubanel, Jean Brunet, Paul Giéra, Anselme Mathieu et Alphonse Tavan. Frédéric Mistral publia Mirèio en 1859. Lamartine s'enthousiasma pour cet ouvrage que Mistral lui dédia. La poésie provençale avait trouvé son maître et son promoteur.
Le Félibrige oeuvra à la résurrection et à la connaissance de la langue provençale, avant d'élargir son action à l'ensemble des langues d'oc. Or, d'emblée, au XIXe siècle, le régionalisme provençal et occitan s'avère fort ambigu : en pleine époque césarienne, de Napoléon III, puis sous la IIIe République, il apparaît comme un mouvement politico-culturel conservateur, pro-catholique, anti jacobin, favorable au renforcement des régions contre Paris. Le monarchisme légitimiste s'en mêle, puisque Léon Daudet et Charles Maurras, fondateurs de l'Action française, se sont réclamés de l'héritage de Frédéric Mistral. Il est triste de noter qu'historiquement, ces modèles d'engeance politique furent pro Félibrige ! L'Occitanie était-elle soluble dans le nationalisme intégral raciste et antisémite, antidreyfusard, qui se compromit en collaborant avec l'Allemagne nazie, ce qui n'est guère paradoxal si l'on apprend à écouter les vidéos des conférences du grand historien Henri Guillemin. Hélas, l'un des rares timbres édités sur Mistral, comme preuve supplémentaire, date de Vichy (1941).
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Il est cependant fort dommage de réduire l'oeuvre de Frédéric Mistral à la seule pensée d'extrême droite, justifiant ainsi son bannissement mémoriel, fort dommageable pour notre culture générale puisque pour rappel, je vécus la fin de mon enfance en une municipalité d'obédience communiste qui ne rejeta aucunement Mistral... Après tout, le Nobel de Mistral, en 1904, fut partagé avec un auteur oublié d'outre-Pyrénées : José de Echegaray (1832-1916), mathématicien et dramaturge espagnol dont le nom sonne basque !
N'oublions pas, chose logique et indispensable dans la philologie et la lexicographie provençale, la rédaction du  Tresor dou Felibrige débutée en 1878 avec François Vidal, qui assura la correction des épreuves. L'ouvrage terminé sortit en août 1886.
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Pour les personnes s'intéressant vraiment (il doit bien en exister) à une autre forme de poésie du XIXe siècle, différente de tout ce que le lectorat cultivé courant a l'habitude de fréquenter et déguster (Hugo, Rimbaud, Baudelaire, Verlaine etc.) je ne saurais trop conseiller Le Poème du Rhône en XII chants, proposé en édition bilingue provençal-français chez Actes Sud, parution toute récente puisque remontant à mai 2016.  Mistral nous narre un long voyage fluvial, de Lyon à la Provence, en compagnie d'une flottille de sept barques de commerce attachées ensemble, chargées d'une cargaison hétéroclite : aussi bien des fusils, que du charbon et des sacs de violettes, mais il y a aussi des passagers... Ce chef-d'oeuvre lyrique absolu commence ainsi :

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
Van parti de Lioun à la primo aubo 
Li veiturin que règnon sus lou Rose. 
Es uno raço d'orne caloussudo, 
Galoio e bravo, li Coundriêulen. Sèmpre 
Planta sus li radèu e li sapino, 
Uuscle dóu jour e lou rebat de l'aigo 
lé dauron lou carage coume un brounze. 
Mai d'aquéu tèms encaro mai, vous dise, 



 
Prochainement, j'aborderai la question du centenaire de Léo Ferré, 
ignoré par l'a-télévision, singulièrement le 
     pseudo-service public. 
 
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