samedi 23 janvier 2016

Ces écrivains dont la France ne veut plus 11 : Anna de Noailles.




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Chaque fois que Marchais ouvre son claque-merde, il perd 10 000 électeurs. (ma mère dans les années 1980)

M. Safety :
- Tiens mon pote ! ... une bien mûre.
L'agent de police :
- Une grenade... toute une grenade pour moi tout seul ! 
Baom (explosion)
L'agent de police :
- Oh ! Merci, Monsieur Safety.
(Maurice Tillieux : Bob Slide  récit complet 33e Rue planche 2 cases 1 à 4 Spirou n° 1682 du 9 juillet 1970)

La comtesse Anna-Elisabeth de Noailles, née Bibesco Bassaraba de Brancovan, d'origine roumaine, vit le jour à Paris le 15 novembre 1876. Elle y mourut le 30 avril 1933. Cette personnalité souffre d'un désamour littéraire classique, source de malentendus, d'apriorismes et de clichés tenaces. On s'imagine une aristocrate spleenétique traînant son nonchaloir, sa mollesse salonarde (elle tint un salon réputé avenue Hoche que fréquentèrent André Gide, Paul Claudel,
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 Jean Cocteau, François Mauriac et Max Jacob), dans une société confite, fossilisée, prousto-décadente "Belle Epoque". On pense le style de ses poèmes, de ses romans, forcément daté, empesé, ampoulé, surfait. On peut la considérer comme illisible. Elle appartient à un monde qui ne nous parle plus, irrémédiablement distancié. Quel dommage, alors que cette femme défendit à sa manière la cause du féminisme. Sait-on qu'Anna de Noailles, toute mondaine qu'elle fût, est à l'origine du jury et du prix Fémina, via son ancêtre qu'elle contribua à créer : le prix "Vie Heureuse" ? Se souvient-on qu'elle devint la première femme commandeur de la Légion d'honneur ? Dois-je rappeler son élection à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, des années avant que notre Quai Conti hexagonal se décidât à accueillir Marguerite Yourcenar ? 
Anna de Noailles, c'est cela. Une femme de son temps ne pouvait espérer mieux, sachant ce que pèsent les hochets d'une gloire éphémère. Qui lit encore son premier recueil de poésie Le Coeur innombrable paru en 1901, à l'orée du XXe siècle ? Une simple anthologie est disponible en poche, mais elle suffit à convaincre du talent d'Anna de Noailles, à défaut d'assurer sa résurrection littéraire.
Souvenez-vous de l'écrivain d'exception que fut François-Régis Bastide (1926-1996),
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 lui aussi oublié, qui se trompa lourdement lorsqu'il crut prophétiser le retour en vogue du comte Arthur de Gobineau.
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 Rendez-vous sur Ina.fr pour vous en assurer et visionnez la vidéo appartenant à la série d'émissions littéraires Portrait Souvenir de Roger Stéphane traitant de Gobineau. On peut être de gauche et faire l'éloge du roman Les Pléiades. Des personnes cultivées et engagées peuvent parfaitement s'enticher des vers d'une comtesse roumaine, pourquoi pas ?

Anna de Noailles essaya de synthétiser le romantisme et la modernité 1900. Elle fut lyrique, passionnée, chanta les louanges de la nature tout en parlant des thèmes éternels de l'amour et de la mort. Jugez-en par cet extrait du poème L'Offrande à la nature dans Le Coeur innombrable :

Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L’eau luisante et la terre où la vie a germé.

La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.


J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.
(...)

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 Bien qu'elles eussent été de la même génération (un an les séparait), il serait hasardeux de comparer Anna de Noailles et Renée Vivien, sa contemporaine morte prématurément en 1909. L'une était à la marge, l'autre universellement admirée et louée. Pauline Benda alias Madame Simone, bon témoin de cette Belle Epoque littéraire foisonnante, se souvenant encore de notre poétesse et romancière alors qu'elle-même approchait de ses cent  ans. C'est Madame Simone qui fit connaître Cocteau à Anna de Noailles.
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Anna de Noailles nous interroge sur la survivance posthume de la littérature, sur la destinée post-mortem des textes une fois leurs auteurs disparus. Je n'affirme nullement que tout vaille la peine d'être retenu chez notre romancière et versificatrice inspirée.
Le sentiment de la Mort contrebalançant la Vie est le thème, le topos dominant au centre de celui que j'estime être le plus passionnant des recueils poétiques que nous légua Anna de Noailles : Les Vivants et les Morts, paru en juin 1913. Il appert qu'Aurore-Marie de Saint-Aubain (personnage purement fictif de mon acabit), George Sand, John Ruskin, Alfred de Musset, Franz Liszt, Robert Schumann, Richard Wagner, Marcel Proust ou Serge de Diaghilev ne furent pas les seules personnalités sur lesquelles l'horizon chimérique vénitien exerça une attraction morbide, hallucinatoire et fantasmatique. La comtesse de Noailles, touchée par ce symptôme typique, joint la Folie à la Mort lorsqu'elle évoque l'île San Clemente, qui abrita l'asile des femmes aliénées à compter de 1880.

L'Île des folles à Venise. 


La lagune a le dense éclat du jade vert.
Le noir allongement incliné des gondoles
Passe sur cette eau glauque, et sous le ciel couvert.
-- Ce rose bâtiment, c'est la maison des folles.

Fleur de la passion, île de Saint - Clément,
Que de secrets bûchers dans votre enceinte ardente!
La terre desséchée exhale un fier tourment,
Et l'eau se fige autour comme un cercle du Dante.

-- Ce soir mélancolique où les cieux sont troublés,
Où l'air appesanti couve son noir orage,
J'entends ces voix d'amour et ces coeurs exilés
Secouer la fureur de leurs mille mirages!

Le vent qui fait tourner les algues dans les flots
Et m'apporte l'odeur des nuits de Dalmatie,
Guide jusqu'à mon coeur ces suprêmes sanglots.
-- O folie, ô sublime et sombre poésie!

Le rire, les torrents, la tempête, les cris
S'échappent de ces corps que trouble un noir mystère.
Quelle huile adoucirait vos torrides esprits,
Bacchantes de l'étroite et démente Cythère?

Cet automne, où l'angoisse, où la langueur m'étreint,
Un secret désespoir à tant d'ardeur me lie;
Déesse sans repos, sans limites, sans frein,
Je vous vénère, active et divine Folie!

-- Pleureuses des beaux soirs voisins de l'Orient,
Déchirez vos cheveux, égratignez vos joues.
Pour tous les insensés qui marchent en riant,
Pour l'amante qui chante, et pour l'enfant qui joue.

O folles! aux judas de votre âpre maison
Posez vos yeux sanglants, contemplez le rivage:
C'est l'effroi, la stupeur, l'appel, la déraison,
Partout où sont des mains, des yeux et des visages.

Folles, dont les soupirs comme de larges flots
Harcèlent les flancs noirs des sombres Destinées,
Vous sanglotez du moins sur votre morne îlot;
Mais nous, les coeurs mourants, nous, les assassinées,

Nous rôdons, nous vivons; seuls nos profonds regards,
Qui d'un vin ténébreux et mortel semblent ivres,
Dénoncent par l'éclat de leurs rêves hagards
L'effroyable épouvante où nous sommes de vivre.

-- Par quelle extravagante et morne pauvreté,
Par quel abaissement du courage et du rêve
L'esprit conserve-t-il sa chétive clarté
Quand tout l'être éperdu dans l'abîme s'achève?

-- O folles, que vos fronts inclinés soient bénis!
Sur l'épuisant parcours de la vie à la tombe
Qui va des cris d'espoir au silence infini,
Se pourrait-il vraiment qu'on marche sans qu'on tombe?

Se pourrait-il vraiment que le courage humain,
Sans se rompre, accueillît l'ouragan des supplices?
Douleur, coupe d'amour plus large que les mains,
Avoir un faible coeur, et qu'un Dieu le remplisse!

-- Amazones en deuil, qui ne pouvez saisir
L'ineffable langueur éparse sur les mondes,
Sanglotez! A vos cris de l'éternel désir,
Des bords de l'infini les amants vous répondent...
 
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L'asile central des femmes de San Clemente ne fut fermé qu'en 1992. 
Les Eblouissements (1907) comprennent aussi des pages magnifiques : Jardin d'enfance, Aube sur le jardin, Crépuscule dans les jardins, Déchirement etc. Autant de variations autour d'un motif monothématique tels avant elle Jean-Sébastien Bach avec Les Variations Goldberg ou Beethoven avec les Diabelli, Anna de Noailles renouvelant son inspiration et transmutant la musique en poésie, musique de la Nature, de la Végétation, du papillon, de l'herbe, du sol, éclats de couleurs, noces et osmose terminale, synthèse finale, symbiotique et intégrale entre les différents arts poétique, pictural et sonore.
N'omettons pas l'oeuvre romanesque de notre comtesse d'origine roumaine, même si je juge qu'elle ne vaut pas sa poésie. Malgré leur féminisme assumé, La Nouvelle Espérance (1903) ou encore La Domination (1905) pour ne citer que deux titres caractéristiques de l'art romanesque d'Anna de Noailles, demeurent des oeuvre littéraires mineures, assez conventionnelles, marquées par leur époque (c'était la vogue du roman psychologique à la Paul Bourget) bien que la prose y soit séduisante et somme toute le style clair, exempt de ces ampoulements issus de la décadence fin-de-siècle. Au contraire, le recueil de nouvelles publié en 1923, Les Innocentes ou la Sagesse des Femmes, malgré un certain moralisme classique, soutient la comparaison avec le meilleur de la production anglo-saxonne. Anna de Noailles et Edith Wharton, notre américaine francophile et grande amie de Henry James se connurent, même si je ne puis soupçonner une influence réciproque. Edith Wharton composa des poésies, partie ce me semble la moins souvent abordée de son oeuvre au contraire d'un Thomas Hardy qui finit par délaisser les romans au seul bénéfice de la muse. 
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De fait, ces différentes écrivaines ne firent que refléter une esthétique "d'époque", un climat particulier, une atmosphère surannée typique avec leur talent (qui fut grand), un stade de l'évolution de la littérature qui pourrait nous intéresser de nouveau pourvu qu'on s'y penchât avec attention.
Pour terminer, il me faut citer au passage la tentative d'Anna de Noailles d'écrire son autobiographie en 1932, un an avant sa disparition prématurée. Ce texte, inachevé, se restreint certes à son enfance et son adolescence, non pas qu'il y manque l'essentiel de l'expression d'une âme forte (pour paraphraser Jean Giono) que le physique de brune mélancolique et évanescente (ce fut une fort belle femme, qui eut des amants notables) ne laissait pas deviner. Les éditions Bartillat eurent l'idée judicieuse de rééditer en 2008 Le Livre de ma Vie. Ses 280 pages peuvent nous paraître succintes relativement à la promesse qu'eût recelée un ouvrage mené à son terme qui aurait fait revivre tout cet univers 1900 délétère moqué par Marcel Proust. 

La prochaine fois, je serai obligé de vous parler d'un scandale en cours : la diffusion chaotique confinant au sabotage de la saison 9 de Doctor Who avec Peter Capaldi, comédien extraordinaire s'il en est, qu'on l'aime ou le déteste.
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